Rhapsodie caprine pour ces jours de fête

pleine chèvre ou trace
Sente de la chèvre qui bâille : le livre

Lire La Chèvre jaune & Balade caprine à travers la littérature tourangelle

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À l'occasion de la foire annuelle agricole, le moment n'est-il pas propice pour remémorer quelques-uns des bienfaits que nous prodigue la race caprine ? Parmi ceux-ci se distinguent, la santé, une idée de la liberté et la joie de vivre.

Bien plus précieux que la fortune, la santé est fortifiée par la consommation du lait et du fromage de chèvre comme l'atteste la tradition.

Zeus (Jupiter), le père et le maître des dieux n'a-t-il pas été nourri par le breuvage de la chèvre Amalthée, afin de demeurer, à jamais, par sa force et sa vigueur, le dieu des dieux ? Dix siècles avant notre ère, l'un des plus anciens et le plus illustre des poètes, Homère, exalte au chant XI de « l'Iliade » les propriétés reconstituantes du fromage de chèvre. Lors du siège de Troie, le vénérable Sage, Nestor, épuisé, et le médecin des grecs, Machaon, fils d'Esculape, dieu de la Médecine, blessé, pour se remettre se font préparer par Hécamède « du fromage de chèvre rapé, enveloppé de farine et mélangé dans du vin de Prammé ». En attendant que la coupe fut confectionnée par la dame « semblable aux déesses » les compères mangèrent de l'oignon « mets propre à faire boire ». Les bienfaits thérapeuthiques furent instantannés. En effet, après s'être sustentés « ils se divertirent à causer ensemble ».

La chèvre et l'enfant

« Mes chèvres ont pour mets le cytise et l'égile, leur tapis c'est le jonc, leur abri la myrtille » chante 350 ans avant Jésus Christ, le poète Théocrite de Syracuse. Le chantre Sicilien magnifie dans « les Idylles » les qualités de la chèvre et le bonheur du chevrier. Il illustre, cependant, la contrainte du berger par cette réflexion : « Me voyant l'autre jour tant de chèvres à traire, une belle m'a dit : Quoi, seul et tant à faire ! ».

Les agronomes latins, Varron et Columelle, ainsi que le grand poète Virgile (70-19 avant notre ère) admirent les dons de la chèvre et vantent l'action bienfaisante de son abondant laitage. « Plus tu dessécheras leurs mamelles à remplir tes jattes écumantes, plus la douce liqueur ruissellera entre tes doigts » conseille, au trayeur, le poète de Mantoue.

Le peuple romain estime tant le Monde rural et ses animaux et apprécie tellement le lait et le fromage pour la santé du corps et les plaisirs de l'esprit que le poète Tibule (55-19 avant notre ère) s'écrie dans les élégies « l'amour même est né dans les champs au milieu des troupeaux ! ».

... À la renaissance, Montaigne (1532-1592) dans « les Essais » (chapitre 8 Tome 2), constate l'empressement avec lequel la chèvre vient allaiter l'enfant et lui apporter ainsi ardeur et vitalité : « Les chèvres sont incontinant duites à venir allaiter les petits enfants, reconnaissent leurs voix quand ils crient et y accourent ; si on leur présente un autre que leur nourrisson, elles le refusent ; et l'enfant en fait de même d'une autre chèvre ». Aussi, le moraliste recommande-t-il le remplacement de la nourrice par la chèvre.

Symbole du retour aux sources

Chateaubriand (1768-1848) dans « les Mémoires d'outre-tombe » (livre 9 Chapitre IV) s'écrie : « Je préférais ma patrie, la pauvre, la petite Île d'Aaron aux cent villes de la Crète. Je disais comme Télémaque : l'âpre pays qui ne nourrit que des chèvres m'est plus agréable que ceux où l'on élève des chevaux ».

Enfin, l'affectueux rapport entre le caprin et l'homme, et plus particulièrement le bambin, figure dans « le Larousse ménager » de 1926, qui indique dessin à l'appui, « la manière de tenir le bébé pour le faire allaiter par la chèvre ».

En l'an 1989, nous célébrons le bicentenaire de la Révolution Française, aussi, la chèvre, vive, capricieuse, fantasque, vagabonde, nous rappelle sa prédilection pour la liberté. Jean de la Fontaine (1621-1696) nous en fait goûter tout le charme dans la fable intitulée « les deux chèvres » :

« Certain esprit de liberté
Leur fait chercher fortune ; elles vont en voyage
Vers les endroits du pâturage
Les moins fréquentés des humains.
Là, s'il est quelques lieux sans route et sans chemin,
Un rocher, quelque mont pendant en précipices,
C'est où ces dames vont promener leurs caprices. »

Ce discours connut plus près de nous son heure de gloire. N'est-ce pas pour prendre le chemin de la liberté qu'on assista, en Mai 1968 ; à un retour vers une nature idéalisée. Les « soixante-huitards » n'espéraient-ils pas embrasser un paradis d'amitié et de poésie, rempli de bêtes et de divinités bienveillantes ? La chèvre, emportée par son irrésistible penchant pour la liberté primesautière sera le symbole de ce retour aux sources.

La Lambrunche broutée, le bouc chancelle

La race caprine figure, aussi, dans nos mémoires pour ses étonnantes découvertes, qui contribuent tant à notre joie de vivre.

Grande est, en effet, l'émotion de Pierre de Ronsard (1524-1585), quand dans son « Hymne à Bacchus », il honore le sacrifice du bouc, sans lequel le vin , notre si précieux et indispensable nectar, n'eut pas été trouvé.

« Ô Dieu ! Je m'esbahis de la gorge innocente
Du bouc qui tes autels à ta feste ensanglante
Sans ce père cornu, tu m'eusses point trouvé
Le vin par qui tu as tout le Monde abreuvé
Tu avisas un jour, par l'espais d'un bocage
Un grand bouc qui broutait la lambrunche sauvage
Et tout soudain qu'il eut de la vigne brouté
Tu le vis chanceler tout ivre d'un côté
À l'heure tu pensas qu'une force divine
Estoit en cette plante et béchant sa racine
Soigneusement tu fis ses sauvages raisins. »

... Si la trouvaille de la vigne échoit au flair du bouc, c'est à la chèvre que l'on doit de savourer l'arôme de la stimulante tasse de café. Un berger éthiopien remarqua, en effet, que ses chèvres manifestaient une vivacité extraordinaire après avoir taillé les feuilles et avalé les grains d'un arbrisseau, appelé caféier. Ainsi, grâce à la race caprine, cette succulente boisson se répandit dans tout l'Orient et fut introduite en France au XVIIIe siècle, pour la satisfaction de tous.

Boucs Paillards

À la Renaissance, la joie de vivre, que chante Ronsard, consiste à ce que le cœur batte en symbiose avec la nature, ses bêtes et ses dieux champêtres, ce qui donne au poète des Princes une beauté au halo mystérieux. L'amour y tient, tout naturellement, la place éminente. Ses ébats se déroulent dans un décor où règnent les petites divinités aux pieds et aux oreilles caprins. La lascivité de la race caprine rythme même les ardeurs amoureuses de « Jacquet et Robine », comme en témoigne le poème de l'auteur de « Mignonne, allons voir... ».

« Approche-toi, mignardelette
Mignardelette doucelette
Mon pain, ma faim, mon appétit
Pour mieux t'embrocher un petit
À peine eût dit qu'elle s'approche
Et le bon Jacquet qui l'embroche
Fist trépigner tous les boucs barbus qui l'aguettèrent
Paillards sur les chèvres montèrent
Et ce Jacquet contr'aguignant
Alloient à l'envie trépignant
Ô Bienheureuses amourettes
Ô amourettes doucellettes. »

En ce siècle où triomphe l'humanisme, fromages, notamment de chèvres, et vins de pays accompagnent toujours les rencontres amoureuses et amicales. Ainsi, Rabelais recommande-t'il à tous « d'avoir en révérence le cerveau caséiforme qui vous fait de ces billes-vezées » ; quant à Ronsard, à l'heure du choix, il paraît hésiter sur le degré d'affinement du « chèvre », comme le font les bergers d'Aluyot et Fresnet dans « Les Eglogues » : « L'heure est-il au mol ou au seiché ? ». La vie et l'œuvre des illustres écrivains nous éclairent sur la qualité des vins qu'ils choisissent pour accompagner fromages, tartes et talmouzes. La vedette du Chinonais a une préférence pour le chenin, récolté à la Devinière, ainsi que « pour ce bon vin breton lequel point ne croît en Bretagne mais en ce bon pays de Verron ! »

Le Sainte-Maure ! Ce petit traversin

Quant au « Prince des poètes », on devine combien il devait apprécier, sur son terroir, le Bourgueil et le St Nicolas. C'est, en effet, à Port Guyet, au bord de la Loire, que ce nectar lui était servi par l'aubergiste Dupin, père de la célèbre Marie. Nous pouvons imaginer, cependant, par la quantité et la qualité de ses amours, la richesse de sa langue et la variété de ses rythmes combien son choix de vins de Touraine, pour accompagner le fromage de chèvre, devait être étendu.

... Les moyens de transports modernes favoriseront les voyages. Ils vont permettre une joie de vie nouvelle, entre autres, celle de découvrir les beautés de nos paysages et les trésors de nos terroirs, notamment, « les gisements » des fromages de chèvre. Touristes français et étrangers voient leur nombre multiplier. Ils baguenaudent, répètant ce que Charles Monselet (1825-1888) a divinement écrit :

« Fromage, poésie
Parfums de nos repas
Que deviendrait la vie
Si on ne t'avait pas ! »

Aussi, en la première moitié de notre siècle, n'est-il pas étonnant qu'écrivains et artistes, ayant choisi la Touraine pour terre d'élection, aient été sensibles aux vertus caprines... à titre gastronomique. Ainsi, Maurice Bedel (1883-1954) s'épanche-t-il sur la qualité du « Sainte-Maure », ce petit traversin de fromage, ce blanc cylindre issu du lait très crémeux de la chèvre. Le chantre de notre terroir se plait à évoquer « les habitants des coteaux de Touraine qui sont aussi raffinés dans leurs goûts que les dieux de la Grèce ; ils font leur régal d'un quignon de pain épaissement enduit de Sainte-Maure et fraîchement arrosé de vin de pays. Plaisir simple mais plaisir de haute qualité ». Dans « éloge de la bique », le subtil gastronome Charles Gay n'affirme-t-il pas que « le délicieux fromage que nous dispense cet animal sacré est le complément nécessaire et tout désigné du Vouvray doré ». L'organisateur des journées gastronomiques de la capitale viticole (1936) adhère, d'ailleurs pleinement, à la thèse de l'écrivain belge Maurice des Ombiaux, selon laquelle « le fromage est le frère du vin. Grâce à une merveilleuse chimie, il a, lui aussi, transformé les sucs de la terre, par l'intermédiaire des herbages odoriférants de l'estomac de la chèvre, avec la collaboration des ferments qui flottent dans l'atmosphère, en une matière de haut goût qui charme le palais et dont les variations ont une aussi étonnante subtilité que celle du jus de treille. »

La chèvre pare-feu

Mais la chèvre, nourrice de l'Humanité et qu'Olivier de Serres (1536-1619) a surnommé la « vache du pauvre », participe aussi à la joie de vivre de la majorité des habitants du Globe Terrestre. En effet, comme l'écrit le fondateur de l'agronomie française dans « Théâtre de l'agriculture et mesnage des champs » de son lait sort de bons fromages, sa chair est bonne à manger, sa peau est utile et ses fumiers serviables. Le célèbre naturaliste Georges-Louis de Buffon (1707-1788) précise en outre que « leur lait est plus sain et meilleur que celui de la brebis. Il est d'usage dans la Médecine et l'on en fait de bons fromages. Les chèvres se laissent têter aisément même par les enfants pour lesquels leur lait est une très bonne nourriture » (extrait de« Histoire Naturelle »).

De plus, la chèvre a une vocation de débroussailleuse ; utilisée comme pare-feu, la dent de la chèvre est imbattable. « L'entretien de la forêt est régulier ; elle laisse un terrain avec une pelouse arborée ; elle fait vivre un éleveur et contribue à l'activité économique en zones difficiles. Même en payant le service rendu par l'éleveur, elle est beaucoup moins cher pour la collectivité que la machine ». (Selon « la Chèvre » n°151, décembre 1985).

En cette fin de siècle, nombreux sont les êtres qui aspirent à l'élaboration d'une Société conviviale au sein d'un Milieu naturel ou ressurgirait la vie champêtre et renaîtrait l'art pastoral. Aussi, la sauvegarde de patrimoine et la mise en valeur des savoir-faire ancestraux figurent parmi nos préoccupations. Le souhait des hommes n'est-il pas de vivre en harmonie avec la nature où s'interpénètrent, humains, animaux et divinités ? La chèvre, par ses qualités sentimentales, esthétiques, mythiques et réelles, n'est-elle pas l'intercesseur indispensable à l'être humain pour la réalisation de cet Univers, qu'a chanté Pierre de Ronsard, et qui se situe entre celui de la chair et celui de l'esprit ?

Jean Domec, 1989


Bibliographie de cette compilation (en plus des auteurs cités) :

Joseph et Pierre Crépin La Chèvre dans l'histoire édition Vibonex.
Gabriel Spillebout Le Réalisme Chinonais.
Etudes rabelaisiennes Tomme XXI, Librairie Droz.
Le Magazine de la Touraine.




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