La Légion d'honneur et autres distinctions

Pierre Larousse (1817-1875) explique dans le « Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle » que la Révolution avait supprimé tous les ordres de chevalerie, mais Bonaparte proposa, en 1801, la création d'un ordre de chevalerie, la Légion d'honneur.

Cette proposition souleva une vive opposition. Le futur empereur répliqua : « On appelle cela des hochets, eh bien, c'est avec des hochets qu'on mène le monde ! »

Ainsi, à la rubrique « décoration », l'illustre encyclopédiste narre cette anecdote : le compositeur Spontini (1774-1851) aimait se montrer, paré de nombreuses décorations. Il les portait à une fête musicale. Comme un homme de l'orchestre s'écriait : « Sa poitrine est constellée de croix et Mozart n'en avait pas ! », l'auteur de La Vestale se retourna et lança, plein d'esprit : « Mozart pouvait s'en passer. »

L'homme le plus décoré au monde fut le duc de Saldanha, grand maréchal de la noblesse du Portugal. Arrivant à une réception au palais, la poitrine littéralement cachée sous les décorations, un marquis l'apostropha en lui témoignant sa stupéfaction. Le maréchal lui répondit avec bonhomie : « J'en ai encore à la maison ! »

Le « Grand Dictionnaire universel » précise, cependant, qu'en 1866, il n'y a, en France, qu'un décoré de la Légion d'honneur pour cent soixante-six individus majeurs, soit un médaillé pour mille hectares, alors qu'en Belgique, qui se révèle le peuple le plus décoré de la terre, il y a une personne sur soixante qui porte le ruban de l'ordre de Léopold, soit un homme pour soixante-six hectares !

À la fin du siècle, Alphonse Allais (1854-1905) s'immisce dans le débat, en souhaitant qu'une loi intervienne aux termes de laquelle tout haut dignitaire de la Légion d'honneur ne pourrait plus jamais être cocu !

Simultanément, le célèbre humoriste suggère au gouvernement « d'octroyer aux hommes toutes les décorations à leur naissance, mais de leur ôter au fur et à mesure qu'ils commettraient des bêtises ! »

Le mot de la fin n'appartient-il pas à un autre grand Normand qui, par son œuvre, a montré qu'il connaissait les qualités et les faiblesses humaines.

En effet, Gustave Flaubert (1821-1880) note dans le « Dictionnaire des idées reçues » : « Légion d'honneur : la blaguer mais la convoiter. Quand on l'obtient, toujours dire qu'on ne l'a pas demandée. »

Jean Domec, 1998