« Il n'est desir plus naturel que le desir de cognoissance. Nous essayons tous les moyens qui nous y peuvent mener. Quand la raison nous faut, nous y employons l'experience. »
Montaigne, Les Essais, 1595
Savoir si la plante nommée caille-lait (gaillet jaune, galium verum) caille vraiment le lait peut sembler une question dérisoire. À consulter des éditions récentes du « Petit Larousse » et du « Petit Robert », le doute n'est pas permis, pour ce premier le nom de cette plante vient du fait qu'elle possède « un suc qui fait cailler le lait » pour le second, plus prudent, il est précisé qu' « on attribue la propriété de cailler le lait » [1]. Pourtant, à l'instar de Montaigne, il convient souvent, lorsqu'il est loisible, de vérifier par l'expérience les vertus supposées d'une plante. C'est ce que fit Jean Domec au cours des années 1990. Le résultat fut pitoyable, le lait de chèvre fraîchement trait gardait sa fluidité originelle. De plus une consultation attentive de nombreux textes relatifs à l'usage du caille-lait dans la confection des fromages montrait qu'il n'était utilisé qu'additionné à une présure souvent d'origine animale, ce qui ne permet pas, on en conviendra, d'isoler son action.
D'autres textes, en particulier celui de Parmentier [2], prétendent que l'action coagulante du galium verum est un préjugé transmis « qu'une seule expérience auroit pu si facilement détruire ». L'auteur de l'« Examen critique de la pomme de terre » conclut : « tous les écrivains se sont copiés servilement, et que c'est ainsi qu'ils ont transmis une erreur ». L'actualité de cette conclusion est particulièrement pertinente lorsqu'un des outils, aujourd'hui, les plus utilisé pour accèder à des informations est celui sur lequel vous lisez ce texte : internet. La facilité nouvelle du copiage dans le traitement de l'information sans nécessité de citer et créditer les sources permet tous les colportages serviles et crédibles possibles. Une recherche des ressources disponibles à partir des mots-clés « galium verum », « gaillet » ou « caille-lait » permet de « vérifier » que cette plante caille bien le lait (y compris dans cette sente !) : ce qui est bien en question et sujet à caution ici.
Il ne s'agit pas, aujourd'hui, d'affirmer que le « gaillet jaune » n'a aucune action coagulante sur le lait mais de constater que cette vertu supposée ne nous a été, jusqu'à ce jour, jamais rapportée de manière convaincante. Cette page se propose d'être le receptacle du fruit de ces expériences positives qui ne tarderont pas à nous être transmises. Pour faciliter cela, nous allons au fil des jours envoyer des courriels en direction des responsables de publications affirmant que le « caille-lait » caille le lait [3].
Christian Domec, 2005
[1] « Le Petit Larousse illustré », 1985. « Le Petit Robert », 1979.
[2] Extraits des sources consultées :
CAILLE-LAIT. s. m. Bot. Genre de plantes, de la famille de rubiacées, dont une espèce, le caille-lait jaune, est employée à colorer en jaune le beurre et certains fromages, mais n'a nullement la propriété qu'on lui avait attribuée de faire cailler le lait : LE CAILLE-LAIT est une plante commune dans nos campagnes. (V. de Bomare) || On l'appelle aussi GAILLET.
- Encycl. Le genre caille-lait ou gaillet (galium de Linné), qui fait partie de la famille des rubiacées, renferme des plantes herbacées, à feuilles verticillées, à fleurs blanches ou jaunes, à fruits lisses ou hérissés. Presque toutes contiennent dans leurs parties souterraines une matière colorante jaune ou rouge, analogue, mais inférieure à celle que fournit la garance qui appartient à la même famille. Ces plantes ont eu une certaine réputation en médecine, comme astringentes et céphaliques.
Le caille-lait jaune ou vrai (galium verum), a des fleurs jaunes, d'une odeur agréable, mais faible. Cette espèce est commune dans les bois, les haies et les prés secs ; tous les bestiaux la mangent. On a pendant longtemps attribué à ses fleurs la propriété de faire cailler le lait ; les expériences de savants chimistes ont démontré que c'était un pur préjugé. Dans le Chester, on les mêle à la présure, et, si elles ne contribuent pas, comme on l'a cru, à la supériorité des fromages de ce pays, elles leur communiquent du moins une couleur et un parfum plus agréables.
Le caille-lait des marais (galium uliginosum), commun dans les lieux humides, ou grateron (galium aparine), est connu pour ses fruits hérissés, qui s'attachent aux habits des passants et au poil des animaux.
Grand Dictionnaire universel du XXIe siècle - 1867 - Pierre Larousse
CAILLELAIT, Gallium. Genre de plantes de la tétrandrie monogynie et de la famille des rubiacées, qui renferme des herbes vivaces à racines traçantes, rouges ; à tiges grèles, quadrangulaires ; à feuilles linéaires disposées en verticilles, et à fleurs petites et disposées en panicules terminales, dont quelques espèces sont trop communes pour ne pas intéresser les cultivateurs, qui peuvent d'ailleurs en tirer quelque utilité.
Les espèces de caillelait qu'il convient de citer ici sont,
Le CAILLELAIT JAUNE, Gallium Verum, Lin. Il a des verticilles de huit feuilles linéaires, les rameaux florifères très courts, et les fruits glabres. On le trouve très communément dans les bois, les haies, les prés, où il s'élève d'un à deux pieds et plus, au moyen des branches sur lesquelles il s'appuie. C'est à la fin du printemps qu'il se fait sur-tout remarquer par ses nombreuses fleurs jaunes légèrement odorantes. Tous les bestiaux le mangent quand il est jeune. Sa saveur est astringente. On le regarde comme céphalique, anti-épileptique. Dans quelques cantons on l'emploie pour faire cailler le lait ; mais il jouit de cette propriété à très foible degré. Les fermiers du comté de Chester, en Angleterre, mêlent cependant avec de la présure ses sommitées fleuries, et prétendent qu'ils lui doivent la supériorité de leurs fromages. Ses racines sont propres à teindre en rouge ou en jaune, selon la nature des ingrédients salins qu'on emploie pour mordans. Mêlées en poudre à la nourriture lapine, elles ont coloré son lait et les os de ses petits en rouge, sans colorer les siens.
[...]
Observations sur le caille lait. Cette plante, à laquelle tous les auteurs ont attribué la propriété qui lui a donné son nom, essayée comme ils le recommandent, n'a pu opérer l'effet coagulant, quoique nous ayons apporté dans cette expérience, mon collègue Deyeux et moi, toute l'attention dont nous sommes capables.
D'abord nous avons commencé par opérer sur du caillelait séché, ayant cette odeur de miel qui annonce sa bonne qualité. Au retour du printemps, nous avons répété sur le caillelait nouveau les expériences que nous avions faites en automne avec le caillelait desséché ; et comme les principes des plantes varient à raison de l'âge, du sol et des expositions, nous avons eu l'attention de recueillir, sur des terrains et à des aspects différens, le caillelait à son premier début de végétation, à l'époque de la floraison, et quand il étoit prêt de grainer. L'infusion, la décoction, l'eau distillée, le végétal lui-même en substance appliqué dans ces divers états au lait froid ou en ébullition, n'ont déterminé aucune coagulation ; ce qui nous autorise à prononcer affirmativement que la faculté de coaguler le lait n'appartient pas plus au caillelait jaune qu'au caillelait blanc, qui a été pareillement essayé.
On sait qu'en été et lorsque le temps est orageux, le lait acquiert souvent la propriété de se coaguler spontanément en moins de six heures, lorsqu'on l'expose au feu. On connoît d'après cela que, si on opéroit sur du lait de cette espèce, il ne faudroit plus attribuer la coagulation à l'influence du caillelait qu'on y auroit mêlé.
Ce qu'il y a de remarquable, c'est que depuis Dioscoride jusqu'à nous il ne se soit pas trouvé un seul auteur qui ait même osé élever un doute sur la propriété du caillelait. Aussi est-on en droit d'en conclure que tous les écrivains se sont copiés servilement, et que c'est ainsi qu'ils ont transmis une erreur qu'une seule expérience auroit pu si facilement détruire. Que d'exemples en physique et en chimie ne pourroit-on pas citer de pareilles fautes qui tiennent à la même cause.
Parmentier, Nouveau cours complet d'Agriculture théorique et pratique, 1809
CAILLE-LAIT ou GAILLET (Botanique). Nom français sous lequel on désigne la plupart des espèces du genre Galium, de la famille des Rubiacées. Ce genre établi par Linné, et tel qu'il est admis par la plupart des auteurs modernes, comprend des plantes à fleurs régulières et hermaphrodites (ou polygames par avortement) dont le calice est ordinairement atrophié [...]
Les Caille-lait constituent pour les animaux un assez bon aliment tant qu'ils sont jeunes, et sont recherchés surtout par les moutons. Plus tard, quand la tige s'est lignifiée, ils ont perdu toute valeur et déprécient le foin des prairies où ils se montrent trop abondamment.
Les fleurs de plusieurs espèces répandent une odeur douce et miellée ; les abeilles y butinent volontiers. Les inflorescences du Galium verum sont mises à infuser dans la présure pour la fabrication du fromage de Chester et on leur attribue une grande importance dans la qualité des produits.
C'est une croyance assez répandue que les fleurs des plantes dont il s'agit peuvent faire cailler le lait, et c'est de là que vient leur nom vulgaire. Il existe même à ce sujet de véritables légendes fantastiques au dire desquelles la seule présence de ces plantes au voisinage des étables suffirait pour changer le lait en fromage au moment de la traite. La vérité est que cette propriété est purement imaginaire, au moins pour nos espèces, comme l'ont dès longtemps prouvé expérimentalement Parmentier et Deyeux.
[...]
Presque tous les Caille-lait ont une saveur astringente due à une certaine quantité de tanin que contiennent leurs tissus. Aussi leur emploi, sous forme d'infusion, rend-il quelquefois d'assez bons services dans les dérangements légers de l'appareil digestif. Elles ont été autrefois vantées comme efficaces dans les maladies nerveuses, notamment dans l'épilepsie, la danse de Saint-Guy, etc. ; l'observation précise n'a nullement justifié cette croyance.
J.-A. Barral, Dictionnaire d'agriculture, 1888
CAILLE-LAIT (ll mll., et lé) n. m. Bot. Nom vulgaire des espèces du genre galium ou gaillet (v. ces mots), de la famille des rubiacées, dont une espèce, la caille-lait jaune, est employée à colorer en jaune le beurre et certains fromages, mais n'a nullement la propriété qu'on lui avait attribuée de faire cailler le lait.
Nouveau Larousse Illustré, 1898-1907
CAILLE-LAIT ou GAILLET, sm. Le grateron, auquel on attribuait à tort la propriété de faire cailler le lait.
Dictionnaire français illustré des mots et des choses, 1887
Pour faire cailler le lait
On ſe ſert preſque toujours de la préſure pour faire cailler le lait : j'entends de la préſure de veau ; car les caillettes d'agneau, de chevreau & de levraut ont auſſi leur préſure, mais elle n'est point ſi bonne ni ſi en uſage, à beaucoup près. On caille aussi le lait avec de la graine de chardon beni ou de la fleur de chardon ſauvage, avec le jus de figuier, qu'on fait couler en faiſant une inciſion à l'écorce de l'arbre ; ou bien encore avec le gingembre ou des œufs de brochet. Les barbes violettes des fleurs de chardons d'Eſpagne, que l'on fait ſécher comme des roſes, le poivre battu, le jus de bled verd pilé, ou autres herbes fort vertes, donnent la couleur, le goût & l'odeur au lait. A Florence on se sert de fleurs d'artichaux pour le faire cailler.La Nouvelle maison rustique, 1762
Caille-lait (ka-lle-lè, ll mouillées), s. m. Terme de botanique. Genre de la famille des rubiacées. Le caillet jaune (galium verum, L.).
– E. Cailler et lait. C'est par erreur qu'on a attribué à ces plantes la propriété de cailler le lait.
Dictionnaire de la langue française, Émile Littré, 1872-1877
Nota : Noël Chomel dans son Dictionnaire œconomique, 1732, prétend que le caille-lait caille le lait. Gaston Bonnier (1853-1922) précise :« la plante est usitée pour faire cailler le lait » (cf. son herbier).
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