« Ma bonne chèvre limousine,
Gentille bête à l'œil humain.
J'aime à te voir sur mon chemin,
Loin de la gare et de l'usine.
Toi que ta barbe encapucine,
Tu gambades comme un gamin,
Ma bonne chèvre à l'œil humain.
Je vais à la ferme voisine,
Mais je te jure que demain,
Tu viendras croquer dans ma main,
Du sucre et du sel de cuisine,
Ma bonne chèvre limousine. »
Ce poème à la gloire de la chèvre est écrit par Maurice Rollinat (1846-1903). Le poète berrichon insiste, tant il l'a observé et aimé sur le regard humain de la chèvre. N'est-ce pas la connaissance de la « gentille bête à l'œil humain » qui a conduit nos ancêtres, les Grecs, à en faire la nourrice de Zeus, le père et le maître des dieux ?
Entouré par l'affection et abreuvé par le lait de la chèvre Amalthée, Zeus acquit une immense force. Sa vitalité était telle que bébé, s'amusant avec une de ses cornes, il la brisa ! Pour réparer ce méfait, il la transforma en corne d'abondance. Amalthée put ainsi se rassasier des fruits qu'elle aimait !
Le filleul de George Sand a bien ressenti la joie de la communication avec la nature que donne la chèvre aux humains. La race caprine n'est-elle pas, entre autre, le symbole du retour au sources ? La contemplation de la reine des champs permet à l'homme d'échapper par la pensée à la servitude du travail à l'usine, rançon du progrès ! N'éloigne-t-elle pas sa mémoire de la vision de la gare, représentation déchirante de la rupture avec le pays, pour l'exil vers la cité inhumaine ?
Le spectacle de « la chèvre gambadant comme en gabin » appelle le poète a une espérance de libération vers l'idéal rêvé : l'indépendance et la liberté.
Fin connaisseur de l'espèce caprine, l'auteur des « Brandes » connaît son extrême gourmandise. Il sait sa prédilection pour le sel et le sucre. Gourmande et gourmette, la biquette est cependant l'animal le plus facile à satisfaire. C'est pourquoi, assurant la vie des hommes, même dans le désert, est-elle appelée « la mère du monde ».
Ainsi, a-t-on observé que sur 575 plantes, la chèvre en mange 449, le mouton 387, la vache 278, le cheval 282, le cochon 72.
Aussi, le lait de chèvre est-il recommmandé pour la santé des bébés et des vieillards. Le célèbre naturaliste Buffon (1707-1788) écrit que « le lait de chèvre est plus sain et meilleur que celui des brebis, il est d'usage en médecine et l'on en fait de bons fromages. »
C'est pourquoi en France, depuis la nuit des temps jusqu'en 1930, la chèvre a allaité directement les nourrissons privés de lait maternel.
Michel de Montaigne note dans « Les Essais », « les chèvres sont conduites à venir allaiter les petits enfants, reconnaissant leurs voix quand ils crient et y accourent ; si on leur présente un autre que leur nourrisson, elles le refusent et l'enfant en fait de même d'une autre chèvre. »
À quel autre animal, l'homme a-t-il confié le soin d'allaiter directement son enfant, si ce n'est « à la gentille chèvre à l'œil humain » ? À « la bonne chèvre limousine » qu'aime à chanter le poète ?
Jean Domec, 2003