« En vacances dans la Vienne, nous lisons « La Nouvelle république » pour avoir des informations sur la région.
Dans le journal du 6 août, j'ai eu beaucoup de plaisir à lire, dans le « Courrier des lecteurs », la lettre de M. Domec, intitulée « Pour une joie de vivre », demandant la libération des biquettes, afin de les faire vivre dans leur milieu naturel.
Tout est dit dans sa lettre dont je partage entièrement le point de vue. C'est effectivement une aberration d'enfermer des animaux en camps de concentration ; ceux-ci enfermés, traités, ne font-ils pas des névroses ? Quelle est la qualité d'un lait, et donc d'un fromage, de bêtes qui ne peuvent être heureuses au soleil ? Plus sérieux que les comités de libération de nains de jardin, un comité de libération des chèvres serait une excellente idée qui ramènerait bêtes et gens à une vie plus saine, plus en contact avec la nature et donc, en effet, une plus grande joie de vivre.
Il y a 20 ans, dans la Vienne, on voyait des troupeaux de chèvres. Maintenant on voit des pancartes « Fromages de chèvre », mais les chèvres... point en vue ! »
Pierrette Puaud, 1998
« Tout courrier n'engageant que son auteur, la rédaction du journal doit follement se réjouir des réactions qu'elle va susciter lorsqu'elle décide de publier les inepties d'un lecteur, comme ce courrier du 21 août intitulé « Vive les biquettes ». Pauvres gens déconnectés du monde rural, même si quelquefois vous y vivez ! Pourtant vos idées ravageuses sont bien à la mode dans nos populations nanties. Avez-vous déjà vu une chèvre près de votre jardin ? Avez-vous déjà gardé un troupeau de chèvres dans une zone de cultures ? Certainement pas. Les anciens, qui n'étaient pas plus bêtes que vous et moi, les interdisaient purement et simplement dans certaines contrées, même sous surveillance. Les Romains les appelaient capra, d'où « caprins » et « caprices ». Pourquoi donc ?
Aujourd'hui, après avoir été un temps citadin et, pis encore, prof, ce qui m'a au moins donné la sagesse de ne pas propager des absurdités gratuites sur les autres catégories professionnelles, je suis donc « éleveur concentrationnaire » au nouveau sens écologique du terme. Je ne regrette pas du tout l'époque, si ce n'était ma jeunesse, où la ferme n'abritait que quelques chèvres traites à la main, dans un local sombre et irrespirable.
Certes, elles allaient aux champs l'été, mais ne voyaient pas une seule goutte d'eau à boire l'hiver (pas de mauvaises habitudes !). « Tiens, voilà l'avoine », s'écriait ma grand-mère en frappant un « chameau » qui venait subitement d'introduire sa patte sale ou ses crottes dans le seau de lait !
Cependant, si vous pensez que le fromage n'en était que meilleur autrefois, dites-moi si je dois encore m'embêter à refroidir le lait, stériliser le matériel, surveiller le nombre de germes, de cellules, la qualité des matières grasse et protéique, pratiquer la prophylaxie préventive de la contagion humaine, le suivi génétique, agrafer les boucles d'oreilles de traçabilité obligatoire européenne, tenir des registres...
J'ai aussi gardé les chèvres et les vaches, un peu comme le four et le moulin, car, à toutes les époques, les diablesses ont toujours eu le vice dans la peau : toujours loin devant, à droite et à gauche, l'une debout, attablée aux géraniums sur le bord de la fenêtre du voisin et les autres aux lilas d'en face, ou les unes dans le champ d'avoine et les autres dans celui de blé, pour y voler, toujours voler, c'était bien meilleur ! Et cette vigne, et ce maïs plus loin ! De toute façon, ailleurs c'était encore mieux, et là où je croyais être en paix, elles pelaient les arbres à les faire mourir.
De retour à la ville, cela fait plus de vingt ans, imprégné de votre mentalité présente, confondant mes propres désirs de confort et les besoins de mes animaux, je leur ai fourni un libre accès, permanent et direct, de la chèvrerie nouvelle au parc attenant : elles ne sortaient presque jamais !
Malheureusement, les idées reçues sont bien ancrées. La palme revient à une infirmière écologiste, intégriste au point d'en oublier son savoir et irrévocablement convaincue par avance de mon cynisme : « Puisque vous dites que les boucs sont violents lorsque les chèvres sont en chaleur, pourquoi les mettez-vous avec à ce moment-là ? »
Au lieu d'imaginer des cauchemars d'élevages domestiques, avec des solutions utopiques dans une opinion publique bien conditionnée, réceptive, caressée dans le sens du poil, venez plutôt voir mes chèvres, tantôt vautrées et paresseuses dans la paille fraîche, ruminantes et somnolentes, tantôt gaies, joyeuses et insouciantes, en sécurité totale envers l'agression, le mauvais temps et la malnutrition. Je vous parlerai d'elles avec amour et passion. »
Jean-Marie Archambault, 1998