C'est la chèvre, la reine du monde selon les Indiens, qui a indiqué aux Grecs, à Delphes, l'emplacement où ils devaient édifier le temple à Apollon, dieu du soleil et de la lumière. En effet, des biquettes, guidées par leur chevrier, se mirent à danser à l'endroit où des fumées mystérieuses sortaient des entrailles de la terre. Aussi, les hommes, pétrifiés, instaurèrent-ils un oracle en ce lieu.
Comme la fièvre habite cet animal, les Anciens associent le caprin à Bacchus, le dieu du vin et de la fertilité. C'est pourquoi le dieu Pan, qui était né avec des cornes de chèvre, un nez plat, des cuisses, de jambes et des pieds de chèvre, qui respirait par le nez et par les oreilles, symbolisait le dieu des champs et des bergers. « Le grand pan est mort » annoncé par le polygraphe Plutarque (an 50, an 120 de notre ère) signifie la prédiction de la fin de la civilisation paysanne, détruite par la machine et la chimie à dater de « révolution mécaniste » du XVIIe siècle, achevée par les « les trente glorieuses » de la fin du XXe siècle.
Etonnant les hommes par ses comportements capricieux, la reine des champs les surprend en savourant la ciguë, qui est un poison violent pour les humains. D'ailleurs, le célèbre médecin grec Hippocrate affirme que la chèvre subit de nombreuses attaques d'épilepsie « le mal sacré ». Son lait rend nerveux tout en venant à bout des névroses. Aussi, n'est-il pas étonnant qu'Esculape, père d'Hippocrate, dieu de la médecine, visitait les malades, accompagné d'un chien dont les lèchement soulageaient les blessures externes, et d'une chèvre dont le lait venait à bout des maux internes. Néanmoins, pour que la biquette ait un lait de qualité et de terroir, l'agronome latin Palladius préconise que le petit ruminant se délecte abondamment de lierre, de quinte-feuille, de feuilles de marronniers et de lentisques.
Nourrice de celui qui fut le dieu des dieux Jupiter grâce à la qualité du lait de la chèvre Amalthée, rendu, dès l'enfance tellement fort qu'il cassa une de ses cornes qu'il transforma pour réparer en « la corne d'abondance », Jupiter, lors de la mort de sa chèvre nourrice en fit une étoile super-géante, nommée « Capella » de la constellation du Cocher. Depuis ce jour la chèvre est nommée « la fille du soleil ».
À leur tour, les chrétiens, par la voix de Guillaume de Beauvais, associèrent la chèvre, dont la vue est si fine et pénétrante, qu'elle lui permet de reconnaître de très loin, à celle de « Notre Seigneur Jésus-Christ, qui est Dieu et Maître de toutes sciences, car il voit tout et de très loin. »
N'est-ce pas par ses immenses dons qu'elle prodigue aux hommes et à la nature que la chèvre, tant aimée, se révèle le symbole de l'animal sacré ?
Jean Domec, 2004