Monsieur le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, se proclame volontiers homme de terroir, n'admire-t-il pas le Futuroscope et ne se révèle-t-il pas fan du Naturoscope ? Ce projet d'installation d'un parc d'attractions nécessite la coupe sombre de nombreux hectares de forêt afin d'élaborer « un jardin d'harmonie » où l'on pourra faire du jet ski et du rafting, « voyager au centre de la Terre »... Comme président du Conseil régional, n'a-t-il pas patronné la « Route du Chabichou » ? Celle-ci invite ses hôtes à prendre connaissance de l'exploitation des chèvres en forcerie intensive. Ainsi la modernité fait-elle passer l'anormalité de l'enfermement des biquettes en atelier industriel comme normal et même recommandé ! Aussi prive-t-on les pâturages du Poitou de la présence du petit herbivore ruminant et mesure-t-on la désertification qui s'est opérée dans nos campagnes : le Poitou-Charentes, qui représente 35 % du cheptel caprin, comptait 13 900 fermes possédant des chèvres en 1979, il n'en compte plus que 2 000 en 2001 !
Mais, virtuose du scoop et du scope et afin de remédier à l'absence de chèvres dans le paysage, le Premier ministre a décidé de créer un Chèvroscope, « Le Centre international caprin, qui présentera aux visiteurs éberlués tout ce qui se fait dans le monde en matière de chèvres, de lait et de fromages ! » [1]
Quant au ministre de l'Éducation nationale, Luc Ferry, ne doit-il pas sa renommée à son ouvrage dénonçant le « Nouvel ordre écologique » ? Ce livre, paru en 1992, célèbre l'esprit de « l'Appel d'Heidelberg » de la même année, signé par 250 scientifiques, dont 52 prix Nobel. Cette invitation dénonce « l'émergence d'une idéologie irrationnelle qui s'oppose au progrès scientifique et industriel et nuit au développement économique ». L'ancien ministre de l'Éducation nationale, Claude Allègre, fut un des signataires de cette intimation.
Les organisateurs de la « Route du Chabichou », comme les signataires de l'Appel de Heidelberg qui annoncent « grâce au progrès une vie meilleure pour les générations futures », se rendent-ils compte que le passage de l'homme et de l'animal d'un rythme de vie biologique à une course économique, a provoqué chez l'un et chez l'autre des « maladies de civilisation » ?
Nonobstant, ces personnalités menacent de déclencher une guerre de religions « contre les obscurantistes, les idéologues irrationnels », en fait, les personnes qui oseraient douter de leurs critères technoscientifiques pour réaliser le meilleur des mondes !
Jean Domec, 2002
[1] L'Express du 23 mai 2002, article cité par le Canard Enchaîné du 29 mai 2002.