La publicité parle d'agriculture paysanne, durable, voire « bio ». Aussi nous invite-t-elle à découvrir des fermes modèles et ouvre « la route de la Chèvre ». Les consommateurs avisés sont donc conviés à s'extasier devant les dernières trouvailles techniques de l'exploitation industrielle et rationnelle des « produits animaux ». Ne voit-on pas des poussins, issus de l'incubation artificielle, poussés astucieusement jusqu'à 80-90 jours afin de bénéficier de labels « fermiers », appelés « élevés en plein air », « bio » ou bien « en liberté » ?
Ne sommes-nous pas étonnés de constater la désolante torpeur de la chèvre, pourtant réputée capricieuse, incarcérée pendant sa brève existence dans « les ateliers intensifs en stabulation permanente ». La déesse des champs ne bénéficie-t-elle pas enfin du confort carcéral de la modernité, dit « bien-être animal ». Ne remarque-t-on pas en effet le perfectionnement de la salle de traite mécanique, servant toujours plus vite, toujours plus d'animaux ? Ne sommes-nous pas ébahis par la composition toujours plus sophistiquée de leurs « rations » alimentaires ? « La vache du pauvre » n'a-t-elle pas été transformée en « athlète de la productivité » ? Ne donne-t-elle pas dit-on, grâce à cette synergie, un lait répondant aux normes du productivisme « écologique » européen ?
Ainsi, nos campagnes sont-elles privées de paysans, de bergers, d'animaux familiers ; donc de l'authenticité des qualités de terroir du lait, des œufs, des viandes. La publicité virtuelle, montrant les animaux nourris aux champs, la chèvre gambadant dans les montagnes, résistera-t-elle encore longtemps à la triste réalité ?
C'est ainsi que nous habituons nos enfants à la normalité de la dénaturation animale. Aussi, ne seront-ils pas émerveillés de voir un jour un coq marcher majestueusement au milieu des poules, sûr de son courage, fier de sa beauté ? De constater que le roi de la basse-cour, courtois et galant, ne mange jamais avant que ses compagnes ne se soient rassasiées ? N'admireront-ils pas la poule menant ses poussins ? Celle-ci, tout en gloussant, les accompagne, les rappelle quand ils s'éloignent, recherche leur nourriture, les abrite de ses ailes, les défend contre tous les dangers, et ce jusqu'à près de 90 jours... Ne dit-on pas d'ailleurs d'une maman très attentive à l'éducation de ses enfants « une mère poule ».
Ne pousseront-ils pas des cris de joie en voyant l'amour que la chèvre porte à sa progéniture. Dès leur naissance, ne bichonne-t-elle pas ses biquets avec effusion et ne joue-t-elle pas de ses pattes sur leur dos afin qu'ils se maintiennent debout ? L'exubérance de vie, l'amour du jeu et de la liberté, les courses folles sur les prés et sur les murs sont en effet légués, dès leur naissance jusqu'à leur sevrage, aux chevreaux par leur mère dont les pis ruissellent de lait et d'amour. Que reviennent au plus vite les bêtes d'antan...
Jean Domec, 2001