Lire La Chèvre jaune & Balade caprine à travers la littérature tourangelle
CHÈVRE s. f. Mamm. Genre de mammifères de l'ordre des ruminants : Les CHÈVRES, comme les moutons, habitent les montagnes (Roulin.) || Ne se dit que de la femelle, dans le langage ordinaire : Troupeau de CHÈVRES. Lait de CHÈVRES. Les CHÈVRES et les boucs. Les mouvements extérieurs sont beaucoup moins mesurés, beaucoup plus vifs dans la CHÈVRE que dans la brebis. (Buff.) La CHÈVRE a quelque chose de tremblant et de sauvage dans la voix. (Chateaub.) L'âne est le cheval du pauvre, comme la CHÈVRE est sa vache. (F. Pillon.) La CHÈVRE était la victime que l'on offrait à Indra et à tous les dieux. (A. Maury.)
Dès que les chèvres ont brouté,
Certain esprit de liberté
Leur fait chercher fortune.....
LA FONTAINE.
.......... Un ver, une fourmi,
Un insecte rampant qui ne vit qu'à demi,
Un taureau qui rumine, une chèvre qui broute, sans doute.
Ont l'esprit mieux tourné que n'a l'homme ? – Oui,
BOILEAU.
– Fam. Barbe de chèvre, Longue barbe sous le menton qui, par sa forme, ressemble à celle d'une chèvre.
– Prendre la chèvre, Se fâcher, s'emporter : Nos avocats prennent la CHÈVRE facilement. (Brueys.)
D'un mari sur ce point j'approuce le souci,
Mais c'est prendre la chèvre un peu bien vite aussi.
MOLIÈRE.
On vient civilement pour s'éclaircir d'un doute,
Et monsieur prend la chèvre ; il met tout en déroute.
REGNARD.
– Vin à faire danser les chèvres, Vin très-aigre.
– Il serait amoureux d'une chèvre coiffée, Se dit d'un homme pour qui toute femme est suffisamment belle, et qui s'éprend de la première venue.
– Loc. fam. Ménager la chèvre et le chou, Ménager les deux partis, agir entre deux intéressés de manière à conserver les bonnes grâces de chacun. Cette locution est fondée sur le problème suivant, qu'on propose aux enfants pour exercer leur sagacité : Un batelier doit passer du bord d'un fleuve à l'autre bord un loup, une chèvre et un chou, sans laisser la chèvre exposée à la dent du loup, ou le chou à la dent de la chèvre, et cependant il ne peut passer qu'une de ces trois choses à la fois. Comment faut-il que le batelier s'y prenne ? Voici la solution du problème : il passera d'abord la chèvre, puis reviendra chercher le loup ; mais au retour de ce second voyage, il ramènera la chèvre sur la première rive, prendra le chou et le passera sur l'autre bord où se trouve déjà le loup, puis enfin reviendra chercher la chèvre, n'ayant en réalité exécuté que trois fois le trajet.
– Prendre la chèvre. V. PRENDRE || La chèvre a pris le loup, Se dit d'une personne malintentionnée qui as eu le dessous avec une personne moins puissante ou moins habile qu'elle. || Cela est lié comme crottes de chèvre, Se dit de propos sans liaison, sans suite. || Où la chèvre est liée, est attachée, il faut qu'elle broute, Il faut se résigner à sa position, se contenter de ce qu'on est, et aussi Il faut que chacun puisse vivre dans sa position : Une femme qui veut rester heureuse ne doit pas chercher du nouveau : OÙ LA CHÈVRE EST ATTACHÉE, IL FAUT QU'ELLE BROUTE. (Th. Leclercq.)
Où la chèvre est liée, il faut bien qu'elle broute.
MOLIÈRE.
|| On n'a jamais vu chèvre morte de faim, Il faut prendre l'habitude de ne pas être difficile sur la nourriture, de manger de tout, comme la chèvre.
– Blas. Figure de chèvre, Meuble assez rare en armoiries, et symbolisant les pays montagneux et les rochers inaccessibles : Capre : De gueules, à une CHÈVRE d'argent. – Corbière : D'or, à une CHÈVRE de sable, à la bordure composée du premier et du deuxième émail. – Cheviré : D'argent à trois têtes de CHÈVRE arrachées de sable, séparées par trois chevrons brisés de même, deux en chef et un en pointe. || Chèvre saillante, Celle qui est dressée sur ses pieds de derrière.
– Mécan. Machine qui sert à élever des fardeaux. || Pied de chèvre, Levier de fer dont un bout a la forme du pied d'une chèvre.
– Techn. Support sur lequel le charron place son bois pour le scier. || Table à trois pieds sur laquelle on fait des fromages. || Dans les moulins à soie, Instrument qui sert à tenir la fusée.
– Pêch. Chèvre de guideau, Pieux sur lesquels on pose le rets ou le sac de guideau.
– Astron. Nom d'une étoile de première grandeur, la principale constellation du Cocher, et la plus brillante de celles qui sont toujours visibles au-dessus de l'horizon de Paris. Elle se trouve dans la direction prolongée de la queue de la Petite-Ourse, près de trois petites étoiles qu'on nomme les Chevreaux. On sait que cette belle étoile doit son nom à la chèvre Amalthée, par qui, au dire des poëtes, fut allaité Jupiter.
– Phys. Chèvre dansante, Ancien nom d'un météore lumineux que le vent fait mouvoir et trembloter.
– Bot. Barbe de chèvre, Espèce de spirée.
– Epithètes. Bêlante, barbue, féconde, inépuisable, lascive, capricieuse, pétulante, bondissante, errante, vagabonde, sauvage.
– Encycl. Linguist. Le mot chèvre a pour étymologie immédiate le latin capra, féminin de caper, bouc, dont, par suite d'une bizarrerie singulière, quoique assez fréquente, le français n'a pas tiré le nom du bouc. Chèvre se rattache sans aucune difficulté à capra. Comme nous l'avons déjà vu mainte fois, le c initial du latin s'est changé en la chuintante ch, comme dans carbo, charbon ; camelus, chameau ; carus, cher, etc. La substitution du v au b ou au p n'offre non plus absolument rien d'insolite. C'est ainsi que aurifaber donne orfèvre ; febris, fièvre, etc. Mais quelle est l'origine des mots latins capra et caper ? Les Latins leur en attribuent une ; mais, comme la plupart des étymologies des lexicographes romains, elle est d'une rare puérilité. Varron fait venir capra de carpere, brouter. C'est de la force de frater venant de fere alter, presque un autre, et de parricidium de par, paris, et cœdere, meurtre d'un égal. Des philologues plus modernes, mais non moins ingénieux, ont rapproché capra du verbe grec kapô, je creuse, je fouille, parce que le bouc creuse, fouille avec ses cornes... quoi ? Nos savants ne le disent pas. Le véritable sens primitif de capra est tout autre que celui-là, et l'instinct populaire qui devine tant de choses, l'a parfaitement senti, par suite d'une étrange intuition, à travers les formes dérivées. En effet, qu'est-ce qu'il y a de plus caractéristique dans le bouc et dans la chèvre ? C'est leur marche sautillante, leurs bonds capricieux, leurs cabrioles. Remarquez que ces deux derniers mots ont, eux aussi, pour radical caper et capra. Caper, c'est l'animal sauteur. On peut comparer avec le substantif latin l'adjectif sanskrit kampra, agile, qui n'en diffère que par l'insertion de la nasale m. Ces deux vocables dérivent d'une racine commune, qui est kap, kamp, et par affaiblissement tchap, tchamp. Elle a passé dans beaucoup de langues indo-européenne, et a donné naissance au verbe persan tchumbidan, sauter, bondir ; au substantif tchapar, courrier ; à tchapich, tchapuch, chevreau ; à tchapak, faucon, considéré comme oiseau au vol rapide. Dans la famille germanique, tous les noms du bouc dérivent également de cette racine, et sont par conséquent intimement liés avec les mots français et latin que nous venons d'examiner. Ce sont l'anglo-saxon hœfer, le scandinave hafr. Dans les langues celtiques, même accord. Seulement ici l'analogie est encore plus frappante extérieurement, puisque la gutturale c ou k, changée en h dans les langues germaniques, conformément aux règles qui les régissent, a généralement persisté chez elles. Ainsi la chèvre s'appelle cabhar, gabhar et gobhar en irlandais ; gafr en cymrique ; gavar en cornique ; gavr et gaour en armoricain. M. Pictet rapproche encore, mais avec réserve, le finlandais kauris, le bohémien chyba, l'albanais skap qui désignent également le bouc ou la chèvre. Il existe entre le latin caper, bouc, et le grec kapros, sanglier, une curieuse analogie, dont l'étymologie démontrée ci-dessus nous donne immédiatement la clef. Kapros, c'était, pour les Grecs, comme le dit M. Pictet, le sanglier bondissant. Comparez le latin aper, qui doit être proche parent du mot grec. Un fait plus bizarre et moins facilement explicable, c'est que les langues sémitiques se rapprochent, elles aussi, des langues indo-européennes, pour le nom du chevreau et du faon. Ainsi l'hébreu dit apher, opher et ophrah ; l'arabe ghafr et ghifr. Ces mots sont-ils réellement alliés aux termes aryens correspondants ? Il est difficile de le dire, d'autant plus qu'ils s'expliquent parfaitement par des racines nationales, à savoir, en hébreu ofar, d'une couleur gris rougeâtre, et en arabe ghafara, être velu. Faut-il croire, avec M. Pictet, que ces verbes, loin d'être l'origine des noms, en soient formés ? On ne saurait le dire, et il faut se borner à constater l'analogie, sans chercher, pour l'instant du moins, à en découvrir les causes. Un autre groupe des noms de la chèvre est représenté par le sanskrit adja, absolument identique au mot grec aix, aigos, chèvre ; le lithuanien ozys, l'irlandais agh et aighe, chèvre, biche. Tous ces mots se rattachent à la racine adj, aller, se mouvoir, qu'on retrouve dans le latin et le grec agô. Aix signifie donc en grec littéralement l'animal agile. On peut aussi comparer l'arménien aidz. Ici encore les langues sémitiques offrent avec les langues indo-européennes une singulière ressemblance. La chèvre, en effet, s'appelle aussi en hébreu ez, en syriaque ezô, en arabe anz, en phénicien aza, suivant la transcription donnée par Etienne de Byzance.
– Mamm. Le genre chèvre appartient à la division des ruminants qui ont les cornes composées d'un noyau osseux dont les cellules communiquent avec les sinus frontaux. Ses caractères essentiels peuvent se résumer ainsi : cornes prismatiques très-fortes chez les mâles, mais manquant parfois chez les femelles, dirigées en haut et en arrière, comprimées, de couleur brune plus ou moins foncée, couvertes de rides transversales, et ayant souvent à la partie antérieure des bourrelets saillants très-épais ; chanfrein droit et même un peu concave dans les espèces sauvages ; mufle rudimentaire ; intervalle des narines complètement nu ; pas de larmiers ni de sillons sous-orbitaires ; oreilles pointues, mobiles et droites, pendantes seulement dans quelques races domestiques ; langue toujours douce ; menton le plus souvent garni d'une barbe longue et épaisse, parfois de deux appendices cutanés ou de sortes de glandes pendantes au-dessous du cou ; joues hérissées à l'intérieur de papilles cornées ; mâchoire garnie de cinq ou six molaires à chacun de ses côtés, et de huit incisives ; mâchoire supérieure manquant d'incisives, mais portant également cinq ou six molaires, ou des molaires en plus grand nombre, dans une espèce seulement, qui en a sept de chaque côté à la mâchoire supérieure, et huit à l'inférieure ; corps svelte et bien proportionné ; jambes robustes, surtout aux membres antérieurs ; ergots petits servant d'enveloppe à un corps élastique ; deux mamelles inguinales séparées par un raphé velu ; queue très courte, presque nue à sa partie inférieure ; pelage composé d'une sorte de duvet plus ou moins abondant, que recouvrent des poils plus grossiers, lisses et en général assez longs, surtout au front, à la nuque, sur l'épine dorsale et près des épaules ; mâles exhalant une odeur forte, extrêmement désagréable.
Le groupe des chèvres, indiqué de bonne heure par les zoologistes, n'a pas toujours été composé des mêmes espèces. Depuis Aristote jusqu'à Pallas, on y a compris indistinctement tous les ruminants cavicornes, qui, soit à cause de leur taille, soit à cause de la nature de leur pelage, semblaient ne pouvoir être assimilés aux bœufs et aux moutons, sans qu'on se rendit bien compte de la valeur des caractères assignés à chacun de ces genres. On sait aujourd'hui que le genre chèvre ne saurait être facilement distingué de divers autres groupes naturels de ruminants, surtout de celui des moutons ; néanmoins on l'a conservé, tout en le restreignant aux huit espèces suivantes : le bouquetin des Pyrénées ; le bouquetin du Caucase ; le bouquetin walie ; le bouquetin jharal ; le bedden et l'ægagre, souche présumée de notre chèvre domestique.
Les chèvres ont la tête fine, l'œil éveillé, l'oreille mobile, une démarche fière et assurée ; l'ensemble de leur corps, quoique un peu lourd, a néanmoins des attitudes gracieuses, et dénote une vigueur surprenante. La vue est très-perçante, l'odorat très-subtil. Leur souplesse et leur agilité sont incomparables : les précipices alpestres, les crêtes du Taurus, du Caucase et de l'Himalaya n'ont point pour elles de retraites inaccessibles. Une fois lancées, leur résolution est aussi rapide que leur coup d'œil est sûr. Cernées par les chasseurs sur une rampe de précipices, et n'ayant à leur portée ni pointes de glacier ni crêtes de roc, elles n'hésitent pas à se jeter dans l'abîme, la tête entre les jambes, pour amortir la chute avec leurs cornes. D'autres fois elles font volte-face, et s'échappent en renversant le chasseur assez imprudent pour s'exposer à leurs coups.
Les chèvres vivent en petites familles dans les pays montagneux. On ne les voit jamais rechercher les plaines, ni se répandre dans les gras pâturages des vallées bien arrosées. L'humidité et une herbe verte ne sauraient leur convenir. Elles aiment à gravir les rochers, à parcourir les landes des montagnes. Les saules alpestres, le bouleau noir, les rhododendrons, les saxifrages et autres plantes amères forment leur nourriture de prédilection.
La femelle ou étagne n'a qu'un petit, lequel est en état de marcher aussitôt après sa naissance. Elle ne l'abandonne jamais, à moins qu'elle ne soit chassée ; alors, s'il ne peut la suivre, il va se cacher dans des trous de rochers ou des terriers de marmottes, quelquefois à près de 2 m. de profondeur. Le danger passé, la mère vient appeler son petit ; mais, si elle tarde trop longtemps, c'est au contraire le chevreau qui va à sa recherche. Il se console difficilement de la perte de sa mère.
La chèvre domestique, la seule qui doive nous occuper ici, comprend plusieurs variétés, on pourrait même dire, à la rigueur, plusieurs espèces particulières. Quelques-unes de ces variétés ont les poils ras et secs ; les autres, longs et soyeux. Il y a des races sans cornes ; d'autres ont sous le cou de singulières pendeloques dont on ignore le rôle physiologique.
La chèvre est loin d'être aussi utile que le mouton ; cependant, bien exploitée, elle peut rendre encore d'assez grands services dans les régions montagneuses inaccessibles aux autres animaux domestiques. Ses principaux produits sont le lait, le poil, le duvet pendant sa vie, et, après sa mort, sa chair, sa peau et ses cornes. Le lait qu'une chèvre bien nourrie peut fournir va jusqu'à 4 à 5 litres par jour. Il est consommé en nature ou converti en fromage, ordinairement peu crémeux, mais d'une bonne conservation. On en fait beaucoup en Languedoc et en Provence. Le beurre qu'on en retire est blanc et presque insipide. Dans toute l'Italie méridionale et la Sicile, c'est le seul qu'on puisse se procurer. La ville de Naples, entourée de collines abruptes nées des convulsions volcaniques du sol, est encombrée chaque matin de nombreux troupeaux de chèvres, qui y apportent elles-mêmes leur lait, et que le caprarolo trait à la porte des consommateurs. Cet usage, d'ailleurs, se retrouve à Marseille et dans les autres villes de la Provence. La viande des animaux adultes est de qualité plus que médiocre ; mais celle des jeunes est assez bonne. La peau des chevreaux est préparée par les chamoiseurs pour le service de la ganterie. La fabrique de Pézenas, celle de Grenoble tiraient un nombre considérable de ces peaux brutes de Naples, pendant l'occupation française. Les peaux brutes servent à faire des manteaux grossiers pour les bergers, les postillons et tous les hommes obligés, par la nature de leurs travaux, de braver la pluie et les rigueurs de l'hiver. Retournées et cousues, elles servent à faire des outres dans lesquelles on transporte les vins à dos de mulet, en Espagne et en Italie. Mais c'est surtout le pelage des chèvres qui forme un produit intéressant pour le commerce. Ce pelage est composé de trois sortes de poils. Les plus longs ou les poils soyeux tombent sur les deux côtés du corps en se séparant sur la ligne moyenne du dos, et recouvrent le cou, le dos, les flancs et les cuisses. Sous ces longs poils, qui sont d'ordinaire assez cassants, il en existe d'autres moins rudes, nommés jarre, qui se trouvent mêlés, dans les espèces les plus recherchées, à un poil laineux et méritant par sa finesse le nom de duvet.
Le mâle de la chèvre est appelé bouc ; on le considère comme un des animaux les plus ardents dans l'acte de la propagation. La femelle porte de cinq à sept mois, suivant les variétés ; ses petits sont le plus souvent au nombre de deux, parfois de trois et rarement de quatre. Les jeunes mâles sont appelés chevreaux, cabris ou biquets ; les jeunes femelles, chevrettes, cabres ou biques.
Malgré son humeur vagabonde et les dégâts qu'elle commet dans les lieux où elle n'est point surveillée, la chèvre ne mérite pas assurément les anathèmes dont on l'a chargée. Elle aime, d'une affection qu'on pourrait presque appeler intelligente, la pauvre femme qui la nourrit, et dont elle est souvent l'unique bien. Elle allaite l'enfant au berceau, accourt à ses cris et lui tend sa mamelle avec une sollicitude vraiment maternelle. Mais, en consentant à vivre parmi nous, la chèvre n'a pas abdiqué entièrement sa nature première ; elle a conservé son goût pour l'indépendance ; elle est l'hôte de l'homme, jamais son esclave. Docile aux caresses et aux bons traitements, elle n'accorde rien à la force. « La chèvre, dit M. Boitard, cette consolation de la misère, a été calomniée par la plupart des économistes, sur la dénonciation de quelques riches propriétaires, et souvent on a voulu enlever aux pauvres habitants de la campagne cette dernière et précieuse ressource. On l'accuse d'avoir la dent venimeuse, de faire périr les arbres et les arbrisseaux qu'elle ronge, et, par conséquent, d'être très-nuisible aux bois, aux vergers, aux taillis, etc. Le vrai est que sa dent n'est pas plus venimeuse que celle de la vache ou de la brebis ; mais, comme elle a l'instinct de se dresser sur ses pieds de derrière, elle atteint les bourgeons à une plus grande élévation que ces animaux. Si on obligeait les pauvres femmes à conduire leurs chèvres à la laisse ou à leur faire porter une entrave qui les empêche de se redresser, leurs dégâts deviendraient moindres que ceux de toute autre espèce de bétail, et l'on conserverait sans inconvénient un animal extrêmement utile par son produit de chevreaux, de lait, de suif et de cuir. » Les chèvres n'étaient pas, à beaucoup près, aussi dédaignées autrefois qu'elles le sont aujourd'hui. Les auteurs anciens, Aristote entre autres, nous apprennent qu'elles étaient entretenues avec beaucoup de soin. La plupart des variétés que nous connaissons maintenant existaient déjà chez les Egyptiens et les Grecs. Contrairement à ce qui a eu lieu pour la plupart des animaux dont l'homme s'est acquis les services, ni la connaissance ni la domestication des diverses races ou variétés de chèvres domestiques n'ont fait de progrès notables. Vu l'impossibilité d'indiquer toutes ces variétés ou même d'en connaître approximativement le nombre, nous nous contenterons de citer les plus importantes.
La chèvre commune a la robe blanche, marron ou pie, formée de poils longs, durs, pendants, quelquefois presque ras ou mêlés à un duvet fin et soyeux, mais court. Elle varie beaucoup par sa taille et ses formes, par l'absence ou la présence des cornes, comme par la quantité de lait qu'elle fournit. La chèvre commune est facile à entretenir. Dans les pays de montagnes, elle pâture sur les collines rocailleuses, au milieu des bruyères où les autres animaux ne peuvent pas arriver ou ne peuvent pas vivre. Dans un grand nombre de nos départements, elle vit constamment au milieu des troupeaux de moutons. En France, la chèvre, n'ayant pas été l'objet de soins attentifs, ne paraît pas avoir formé de races distinctes ; en Angleterre, au contraire, il en existe deux assez bien caractérisées : l'une a des poils courts, assez lisses, noirâtres ; l'autre, généralement de couleur grise, porte, sous des poils soyeux, longs et touffus, un duvet abondant.
La chèvre de Syrie a des cornes noires, recourbées dès leur origine, de manière à ne pas s'élever sensiblement au-dessus de la tête. Dans la femelle, ces cornes sont très-petites et décivent une portion de cercle qui ramène leur pointe en avant ; dans le mâle, elles sont à double courbure, tordues sur elles-mêmes, dirigées en arrière en dehors et de longueur moyenne. Les oreilles sont entièrement pendantes, mais plus longues que le museau.
La chèvre de la haute Egypte a de longues jambes, un long cou et le poil roux, très-court. La tête est difforme ; le chanfrein, très-élevé à la partie supérieure, s'abaisse brusquement vers le museau, tandis que la mâchoire inférieure se prolonge en avant, de manière à laisser voir les dents. Les oreilles sont pendantes et à peu près de la longueur de la tête. La barbe paraît manquer dans les deux sexes. La femelle n'a pas de cornes ; celles du mâle sont très-petites. Cette chèvre possède une remarquable faculté laitière. Elle est moins vagabonde que la chèvre commune. Les familles riches en font souvent la nourrice de leurs enfants. Elle se familiarise aisément, vit dans les appartements sans les salir, et joue avec les enfants, pour qui elle se montre très-affectionnée. Elle a été introduite chez nous en 1840.
La chèvre d'Angora a des cornes arquées ou contournées en spirale, des oreilles larges et pendantes, mais non aplaties, des poils frisés, soyeux, fins et très-abondants. Cette variété se trouve dans les environ d'Angora, sur les montagnes situées entre la mer Caspienne et la mer Noire. Il y a plusieurs sous-variétés, qui se distinguent surtout par leur taille et par la nature de leur poil soyeux. La plupart des chèvres d'Angora sont blanches ; cependant on en trouve aussi de rousses et de brunes. Le poil est moins fin, mais plus abondant chez les mâles que chez les femelles. Le lait est excellent, et la viande est préférée par les Turcs à celle du mouton. Les chèvres d'Angora ont été transportées en France, en Suède, en Toscane ; elles y prospèrent, et leur poil y conserve toutes ses qualités.
La chèvre thibétaine a des oreilles larges, demi-tombantes et un duvet abondant. La couleur de ce duvet est grisâtre ; les poils soyeux, au contraire, sont blancs, gris bleuâtre, chamois clair ou noirs. Les cornes sont droites, tordues en vis et divergentes. La chèvre thibétaine, improprement appelée chèvre de Cachemire, ne se trouve dans toute sa pureté qu'aux environs de Lhassa, dans le Thibet, par le 90e degré de latitude E. C'est là que les fabricants de la vallée de Cachemire viennent s'approvisionner de duvet pour la confection de leurs précieux tissus. V. CACHEMIRE.
Il existe, dans d'autres contrées de l'Asie, des chèvres qui, bien que différentes d'aspect, paraissent néanmoins dériver de la chèvre thibétaine. Les plus connues sont la chèvre à duvet des Kirghis de l'Oural, et la chèvre himalayenne. Cette dernière, qui habite sur le versant sud de l'Himalaya, est fréquemment employée comme bête de somme, à cause de sa force et de son agilité. La chèvre des Kirghis a été confondue assez longtemps avec la chèvre thibétaine de Lhassa. Introduite en France au commencement de ce siècle, par MM. Ternaux et Amédée Joubert, elle ne s'y est pas propagée, parce qu'on s'est aperçu que le précieux duvet qu'elle fournit dans son pays natal disparaissait entièrement sous nos climats.
Les chèvres, au moins dans notre pays, sont presque toujours mal logées ; cependant elles réclament, pour donner beaucoup de lait, un logement bien tenu et une température douce. Ces conditions sont nécessaires pour la santé et indispensables pour la fourrure des races qui possèdent une précieuse toison. Les chèvres craignent l'humidité, le froid et les fortes chaleurs. Elles recherchent les lieux escarpés, où elles trouvent à pacager, selon leur caprice, des herbes fines et des broussailles. Elles contractent des indigestions dans les prairies de légumineuses, le mal de brou et le pissement de sang dans les taillis. Elles broutent des herbes séchées sur pied et fanées, souvent de préférence à une herbe fraîche et succulente. Aussi vivent-elles, en donnant du lait, là où d'autres animaux périraient de misère. Les chèvres, nous l'avons dit, nuisent beaucoup aux jeunes arbres et aux arbustes dont ils mangent les pousses nouvelles, et il ne faut les laisser que dans les terres sans bois et sans culture ; mais on peut les conduire impunément dans les vignes, après les vendanges, ou dans les prairies, après la récolte du regain ; les plantes variées qu'elles y trouvent leur donnent beaucoup de lait. Quoique vives, pétulantes et aimant les lieux escarpés, les chèvres supportent facilement le régime de la stabulation permanente. À la chèvrerie, on les nourrit avec de la luzerne, du trèfle, des vesces, des gesses, des feuilles de chou et des feuilles de vigne ramassées après les vendanges. En Afrique, quand le temps est trop sec, on leur fait manger le figuier de Barbarie, les feuilles de l'agave américain, etc. ; près du désert, on les nourrit souvent avec des dattes, qui augmentent la quantité de lait et communiquent à ce liquide une saveur douce et agréable.
Le duvet des chèvres de Cachemire tombe naturellement au printemps ; on le récolte au moment où il se pelotonne et se détache, en peignant la toison tous les deux jours. Cette opération peut durer de huit à quarante jours. Le bouc peut féconder sa femelle à sept ou huit mois, mais on ne doit l'employer que d'un an et demi à trois ou quatre ans. On fait souvent couvrir les chèvres dès l'âge de six à sept mois, mais il serait plus avantageux de ne les mener au bouc qu'à douze ou quinze mois. Si les chèvres sont bien nourries et vivent en présence du bouc, elles peuvent être fécondées dans toutes les saisons, et faire presque deux portées par an ; mais si elles donnent du lait et qu'elles ne sentent pas le mâle, elles le demandent principalement dans les mois de septembre, d'octobre et de novembre. Les chaleurs durent de un à trois jours, et reviennent toutes les trois semaines si la femelle n'est pas fécondée. Le part est souvent laborieux. On donne une soupe à la chèvre qui vient de mettre bas, et pendant trois ou quatre jours on la nourrit avec du pain et des boissons tièdes. On sèvre les chevreaux à l'âge de cinq ou six semaines ; on leur donne des farines délayées dans l'eau et du petit-lait. En France, on vend généralement comme chevreaux de lait tous ceux qu'on ne veut pas élever, sans jamais les châtrer ; en Afrique, au contraire, où on élève des boucs pour la boucherie, on châtre ces animaux à la troisième année de la monte, et on les engraisse ensuite. Les chèvres devraient être brossées et pansées tous les jours ; on a observé que le lait des chèvres régulièrement pansées a moins d'odeur et est plus favorable à la santé des personnes délicates.
– Mécan. et techn. Dans les constructions et dans l'artillerie, on emploie pour élever des fardeaux un appareil appelé chèvre. [...]
Les charrons donnent encore le nom de chèvre à une sorte de chevalet [...]
– Iconogr. La chèvre la plus célèbre de l'antiquité... mythologique est la chèvre Amalthée, qui eut l'honneur de nourrir de son lait le maître des dieux, et qui obtint en récompense d'être placée au rang des constellations avec ses deux chevreaux. Les artistes de la Grèce et de l'Italie ne manquèrent pas de représenter sur la toile et sur le marbre ce quadrupède illustre. Le musée du Vatican possède une belle chèvre de marbre à la barbe de laquelle est restée accrochée la main d'un jeune enfant dont le corps a été brisé : on pense que ce groupe, qui a été découvert sur le mont cœlius, représentait le petit Jupiter et sa nourrice la chèvre Amalthée. On voit dans le même musée plusieurs autres statues antiques de chèvres et de boucs, en bronze ou en marbre, exécutées avec cette habileté que les anciens avaient coutume d'apporter dans la représentation des animaux : on remarque, entre autres, une Chèvre allaitant un chevreau, une Chèvre assaillie par deux serpents et défendue par une cigogne, deux Chèvres et un bouc, etc.
Parmi les ouvrages modernes où les chèvres jouent un rôle plus ou moins important et sont traitées avec le plus de talent, nous citerons : le Chevrier, estampe de Badiale d'après Flaminio Torre ; la Chèvre malade (musée de Munich), la Chèvre que trait un jeune pâtre (musée de Munich), une Paysanne qui trait une chèvre (galerie de Dresde), la Chèvre et le bœuf (galerie de Dresde), etc., charmants tableaux de Karel Dujardin, que ses camarades de la bande académique avaient surnommé la Barbe de bouc ; des Chèvres broutant parmi des ruines (musée de l'Ermitage), tableau de J.-B. Weenix ; la Chèvre qui broute, la Chèvre qui pisse, gravures de Sébastien Barras, d'après Van der Cabel ; le Chevrier des Abruzzes, tableau de Decamps, vendu 6,000 fr. à la vente Barhoilhet 1860 ; la Chèvre Amalthée, groupe en marbre de Julien (musée de Louvre) ; la Jeune fille à la chèvre (musée de Louvre), une des plus charmantes productions du ciseau de Bouchardon ; la Vendange, tableau de M. Palizzi, exposé en 1855, etc. M. Théophile Gautier décrit ainsi ce dernier ouvrage : « Un troupeau de chèvres est entré dans une vigne et s'en donne à cœur joie ; les vendangeuses au nez camus, de la dent, de la lèvre, du pied, mordent, arrachent, détruisent grappes, brindilles, pampres, et font comprendre pourquoi les anciens sacrifiaient le bouc à Bacchus. M. Palizzi rend à merveille la maigreur lascive, l'air mièvre, les allures pétulantes de ces demoiselles cornues et barbues. »
Grand dictionnaire universel du XIXe siècle, Pierre Larousse, 1867
édité par Christian Domec - xhtml - css - roseau - stat - rss - màj - m@nuscrit - potière