Lire La Chèvre jaune & Balade caprine à travers la littérature tourangelle
La chèvre est un être vivant, sensible et sentimental, qui a besoin pour prospérer de la présence affectueuse de son maître(esse). Elle aime la chaleur de la maisonnée ou bien diriger un troupeau de moutons sous l'autorité du berger. Bien que la nourrice de Zeus ait la réputation d'être un animal rustique, solide, rarement malade, une manque d'égard de son chevrier(ère) engendre des maux qui peuvent être mortels. La chèvre est une créature vivante fiévreuse, la température de son corps est normalement comprise entre 39°C et 40°C, c'est pourquoi elle a besoin de courir, d'accomplir des bonds capricieux, des cabrioles. La chèvre est une danseuse née, d'ailleurs avant sa traite à la main, symbole de l'élevage et de ses rites, elle se dandine, puis pendant le tirage de son lait, rumine pour montrer sa satisfaction à son maître(esse). Pour assurer sa bonne santé et un lait de terroir, la reine des champs exige d'être élevée en extensif, en nombre restreint. Pour se nourrir en parcours, les petits herbivores ruminants obligent la présence d'un gardien(enne). « Elles restent l'hôte de l'homme, jamais son esclave ». « Dociles aux caresses, elles n'accordent rien à la force. »
Spontanément, la chèvre allaite un bébé humain, accourt à ses cris et lui donne la mamelle avec une affection maternelle. Dans nos climats tempérés, comme celui de la Touraine, la chèvre peut s'alimenter toute l'année dans les bois, champs, landes, friches, jachères... Il faut compter au moins six heures de pâturage par jour pour répondre aux droits d'usage immémoriaux des caprins « bois, herbage, feuillage, ramage » qui leur permettent de se sustenter.
Comme l'écrit le naturaliste Pierre Boitard (1787-1859) : « La chèvre, « La vache du pauvre », a été calomniée par la plupart des économistes sur la dénonciation de quelques riches propriétaires, et souvent on a voulu enlever aux pauvres habitants des campagnes cette dernière et précieuse ressource. On l'accuse d'avoir la dent venimeuse, de faire périr les arbres et les arbrisseaux qu'elle ronge... Le vrai est que sa dent n'est pas plus venimeuse que celle de la vache ou de la brebis, mais comme elle a l'instinct de se dresser sur les pieds de derrière, elle atteint les bourgeons à plus haute altitude que ces animaux. » [1] C'est au gardien du troupeau de veiller. La gratitude de la chèvre pour son chevrier(ère) est grande. Ainsi, les naissances se passent rarement la nuit, tant la chèvre, confiante en son protecteur, ne veut pas le déranger. Chaque jour, à l'aurore, mes chèvres me montrent leur joie de vivre ; elles sortent de la bergerie en esquissant un pas de deux. D'ailleurs, leur dandinement, leur queue relevée, leurs oreilles attentives, marquent leur bonne santé.
Je partage le point de vue du poète grec Archiloque (VIIIe siècle avant notre ère) qui affirme que « les chèvres respirent par les oreilles, il suffit d'observer leurs comportements pour constater qu'elles aspirent l'air par le nez et les oreilles . » Le collaborateur de l'empereur Charles-Quint, le jurisconsulte espagnol Covarrubias (1512-1577) nous donne l'explication : « On a attribué à la chèvre le qualificatif de camarde ou camuse, car elle a les naseaux plats, et comme pour cette raison elle respire mal, il faut bien qu'elle respire aussi par les oreilles. » Pour se nourrir, en élevage de plein-air, la biquette a besoin de la présence humaine. Je constate que mes chèvres ne mangent pas normalement en mon absence. Elles attendent patiemment, elles si impatientes, l'arrivée de leur maître(esse). Le changement de gardien s'avère perturbateur. La production de lait diminue immédiatement.
La mère du monde, agile, capricieuse, à la vue perçante, à l'odorat subtil, qui gravit agilement les collines, parcourt sous-bois et landes, qui, pour que ses petits naissent au printemps, a le comportement sexuel des animaux sauvages, ne peut se passer de l'assiduité d'un maître(esse). Elle n'apprécie guère la venue de personnes étrangères, les bruits inhabituels de véhicules, d'avions, etc. et ne supporte pas son ombre quand les rayons du soleil sont vifs, tant ils signifient une présence étrangère insolite.
La chèvre, reine des champs, symbole de la terre nourricière et de « la gratuité des dons imprévisibles de la divinité » réclame l'affection des maisonnées.
Elle ne résistera plus longtemps aux affres de son exploitation intensive.
Le retour aux champs de sa reine s'impose en ce début du XXIe siècle, qui sera spirituel si nous avons le courage de rétablir les relations harmonieuses Homme, Animal, Milieu, en restaurant notre agriculture paysanne.
Jean Domec, 2003
[1] Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, Pierre Larousse.
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