La Nuit où ils virent le jour

Sente de la chèvre qui bâille : le livre

Lire La Chèvre jaune & Balade caprine à travers la littérature tourangelle

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Au crépuscule, au moment de regagner la bergerie, Touraine prévient son chevrier, par un béguètement aux accents mêlés d'anxiété et d'espérance, qu'il convient d'être vigilant. Les naissances attendues ne sauraient tarder.

À deux heures, en effet, par une fraîche nuit de printemps au ciel parsemé d'étoiles, notre chèvre donne le jour à Bacchus et à Rillette, magnifiques chevreaux au poids de cinq et quatre kg.

L'heureux événement survient cent cinquante jours après son union avec Bibi le superbe bouc corse, au pelage moricaud, bourreau des cœurs de la Champeigne tourangelle.

Dès leur venue au monde, leurs frimousses hâlées laissent percer des regards qui resplendissent de la lumière de l'Île de Beauté. Tandis qu'une robe brune et chamoisée, avec bottes et raies dorsales noires, enveloppent leurs corps alpestres, comble d'élégance, deux charmantes pendeloques agrémentent leurs gorges !

Et ces instants d'enchantement, le pastoureau, le cœur serré, offre à la parturiente une coupe remplie de vin « Noble Joué » de son terroir de Saint-Avertin

Et c'est avec la délicatesse du gourmet que la descendante de la nourrice de Jupiter savoure le bouquet fruité de ce breuvage des dieux.

Sitôt remise de ses émotions, notre affectueuse chèvre se lève pour nourrir de ses pis, qui ruissellent de lait, ses adorables biquets.

De la nuit finissante jusqu'au feu de l'aurore, la fille de Roussette se dépense et s'épanche auprès de ses cabris.

Tout en les bichonnant avec effusion, elle les toilette par effleurements et joue de la patte sur les dos afin qu'ils se maintiennent debout.

Ne leur apprend-elle pas, également, les moyens d'expression que prône le rituel caprin pour la défense, les échanges, les jeux et les cérémonies de la lignée ! Elle leur montre, en effet, comment se hausser sur les pattes de derrière afin de s'affronter tête contre tête en un noble mouvement hiératique.

Cette tradition ne se transmet-elle pas, de génération en génération, depuis la nuit des temps ?

Simultanément, ivre de bonheur, notre belle dame exalte son attachement à sa progéniture par des chevrotements aux intonations de la plus tendre des mères.

Enfin, la joie exubérante de la vie, l'amour de la liberté, la fierté, même dans l'adversité, la majesté du geste, sont légués, dès leurs premiers balbutiements, à Bacchus et à Rillette, par Touraine, « fille du soleil » notre chèvre de compagnie.

Jean Domec, 1991




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