Lire La Chèvre jaune & Balade caprine à travers la littérature tourangelle
Les sources du fromage
« M. Domec propose de remplacer la présure par des plantes pour cailler le lait lors de la fabrication des fromages. Cela est vrai que différentes plantes font cailler le lait. Mais, M. Domec va chercher bien loin ses sources.
Nos éleveurs connaissent cette plante très commune, qui se nomme précisément caille-lait (galium verum), qui est d'ailleurs, je crois, utilisée dans la fabrication de certains fromages. C'était un des « trucs » de certains éleveurs, engraisseurs de veaux blancs traditionnellement suralimentés. Je pense que cela faciliterait le caillage donc la digestion du lait donné en excès.
J'ignore si cette pratique est toujours en usage. Mais quand M. Domec parle de retour aux sources, aussi loin remonte-t-il, ses sources sont encore bien en aval de la source ! Il n'est d'ailleurs plus le temps où « Aristote a dit » était la preuve incontestable de la vérité.
Le lait est naturellement, originellement, destiné à l'alimentation du nouveau-né et, chez les ruminants, caillé dans sa caillette par la présure qu'elle sécrète. Tout le reste est artifice humain, ancien ou récent. M. Domec affirme que le créateur condamne l'emploi de la présure par ce texte du « Deutéronome » : « Tu ne feras pas cuire un chevreau dans le lait de sa mère. » Où est-il question de présure dans ce texte ? L'origine de cette interdiction est que cette pratique était un rite païen. Et Moïse veut qu'Israël rompe radicalement avec toute pratique païenne.
Comme c'est la peur panique entretenue autour de la vache folle qui fait préconiser par M. Domec l'abandon de la présure, je voudrais, à ce propos, ajouter ceci : que ceux qui ont crié à la folie quand ils ont appris que des farines de viande entraient dans la ration d'herbivores aillent voir le très beau film « Microcosmos ». Ils verront que l'herbe grouille de petits animaux. Les herbivores qui les avalent et les digèrent le plus naturellement du monde. Sans parler des myriades d'acariens qui prolifèrent dans la panse et dont les ruminants digèrent les cadavres. Leur système digestif est donc apte à digérer une certaine quantité de protéines animales. Il y a eu, certes, faute quelque part ; elle n'est pas le fait des nutritionnistes »
Marc Labbé, 1997
Gare aux légendes !
Mon interlocuteur se montre victime des attributions que l'on donne au caille-lait, la propriété de « cailler le lait ». Or, il n'en est rien. Nous avons essayé le « galium verum » sans succès. Effectivement, la légende disait que la seule présence de ces plantes au voisinage des étables suffisait pour changer le lait en fromage au moment de la traite. Les expériences des savants ont montré que c'était un pur préjugé. « Ce qu'il y a de remarquable », écrit en 1809, l'inspecteur Parmentier de l'Institut de France, « c'est que, depuis Dioscoride (un siècle avant J.-C.), il ne se soit pas trouvé un seul auteur qui ait même élevé un doute sur la propriété du caille-lait. Tous ces écrivains se sont copiés servilement et c'est ainsi qu'ils ont transmis une erreur qu'une seule expérience aurait pu détruire » [1]. Par contre, « ce végétal mélangé à la présure pour la fabrication du fromage de Chester communique parfum et couleur à celui-ci ».
Je crains que M. Labbé, après avoir vu le film « Microcosmos », ne porte un jugement prématuré en considérant que nous pouvons exploiter les ruminants herbivores, confinés dans des atelier intensifs, nourris notamment de farines de viande, étant donné que « l'herbe grouille de petits animaux, sans parler des myriades d'acariens qui prolifèrent dans la panse et dont les ruminants digèrent les cadavres ». C'est pourtant ce que préconisent aussi les sept cent cinquante spécialistes et nutritionnistes représentant cinquante pays, réunis à New Delhi en mars 1992 pour un symposium mondial caprin. En effet, ces personnalités, six ans après la crise de la « vache folle », abolissent pour toujours les frontières entre les animaux carnivores et ruminants. Ne proclament-ils pas, dans leur communiqué final : « La chèvre mange de tout. Il se confirme que la chèvre laitière peut utiliser aussi bien les sous-produits industriels que les vaches, notamment les farines de viande, de plumes hydrolyses, de graisse ou d'urée. » [2]
Le présent et l'avenir nous diront si, au lieu de faire table rase du passé, ces spécialistes ne devraient pas retenir ces leçons, entre autres celle qui considère vaches, brebis, chèvres comme des ruminants herbivores, vivant en plein air, sous la conduite de gardiens, en pâturages libres.
Jean Domec, 1997
[1] in Le Nouveau cours complet d'agriculture théorique, pratique, économique et de médecine rurale et vétérinaire..., début XIXe.
[2] La Chèvre, n° 190, mai-juin 1992.
édité par Christian Domec - xhtml - css - roseau - stat - rss - màj - m@nuscrit - potière