Lire La Chèvre jaune & Balade caprine à travers la littérature tourangelle
En France, jusqu'au milieu du XXe siècle, la Chèvre vit en tout petit nombre dans nos familles paysannes et rurales, ainsi que dans les maisons ouvrières dans les banlieues des villes. La nourrice de Jupiter assure aux familles la joie de vivre ainsi que son lait dont la qualité atteste la santé de la maisonnée. N'est-elle pas admirée dans l'ensemble des foyers pour son humeur vagabonde, son sens de l'humour, pour sa voix « qui a quelque chose de tremblant et de sauvage », pour son tempérament enfiévré ? Ne fait-elle pas penser par son comportement que « les être passionnés vivent, alors que les raisonnables ne font que durer ! » Ne le voit-on pas, les larmes aux yeux, qui allaite au berceau un enfant orphelin, accourt à ses cris et lui tend sa mamelle avec une tendresse toute maternelle ? Eh bien, dans notre Civilisation paysanne, la reine des champs qui, par sa fierté et son indépendance en impose aux humains, se révèle comme indispensable à la vie d'une famille, fut-elle la plus démunie. Ne jouit-elle pas du plus prestigieux des noms : la vache du pauvre !
Aussi, dans notre pays, depuis la nuit des temps, la fille du soleil a bénéficié de droits d'usages qui lui assuraient subsistance et prospérité. Elle avait en effet le privilège de disposer « des bois, herbages, feuillages, ramages » par la « vaîne pâture » sur le territoire de la paroisse, par « le parcours » sur les terres de plusieurs communes. Ces autorisations furent progressivement interdites par le Scientisme « éclairé » de la Révolution mécaniste du XVIIe siècle, au nom des lumières du Progrès !
Pour que l'homme soit « maître et possesseur de la Nature », les « Importants » découvrent que l'animal n'est qu'une machine à tracter et à produire et non plus un être vivant, doué de sensibilité et de sentiments comme le considérait le monde paysan.
Tout au long du « Siècle des Lumières », au nom du progrès de l'agronomie et de l'exploitation scientifique de « la machine animale », les propriétaires éclairés s'emparent ou tentent de prendre possession des Communaux et d'abolir les droits d'usage.
La Chèvre, la compagne des pauvres, sera poursuivie à partir du milieu du XVIIe siècle jusqu'à l'abolition définitive des propriétés collectives au milieu du XXe siècle pour « sa dévastation toujours renaissante par ses dents venimeuses » ! Un préfet de l'Ardèche, le 16 germinal An IX, ira jusqu'à parler de la chèvre comme « l'animal du pillard et du fainéant » !
Ainsi, ont petit à petit disparu les gardiens communaux de chèvres. « Jusqu'en 1936, à Herbeumont dans les Ardennes belges, le pâtre (le cabeurti), sur la place du village, donnait son coup de trompe (ou Cône). Alors, les habitants ouvraient la porte des étables et les petits ruminants gagnaient l'endroit où les attendaient le pâtre et son chien. Le parcours durait environ 12 heures avec trois heures de repos sur terrain sec, près d'une source et à proximité d'ombrages où pouvaient ruminer en paix les biquettes. Le pâtre appelait chaque animal par son nom. Le jour entier se passait dans les bois. Au retour du pâquis, les chèvres regagnaient chacune leur maison sans se tromper. » [1]
En 1958, en France, à Tours, naît le magazine « La Chèvre », organe de « L'Institut de l'élevage ». Il s'agit de répondre aux ordres de la zootechnocratie de l'agronomie, de l'Inra, de l'élite de la médecine vétérinaire. Il s'agit d'imposer à la paysannerie mourante l'exploitation industrielle des chèvres dans des ateliers spécialisés.
Ainsi, depuis plus de 40 ans, les zootechnocrates poursuivent la destruction de la mère du monde. Ce saccage se révèle cependant recommandé par le « Larousse Agricole du XXIe siècle » aux rubriques « Bergerie », « Chèvrerie », « Chèvre ». Cette Encyclopédie (sic) fait d'ailleurs table rase du passé. La zootechnocratie a en effet oublié, ce que savait notre civilisation paysanne, que « l'avenir appartient à qui récolte et sème les leçons du passé ! » Aussi, ignore-t-elle que la Chèvre, la mère du monde, aime de tout son amour, vit de toute son ardeur et accepte religieusement de souffrir et de mourir, entourée de l'affection de toute la maisonnée. C'est pourquoi la Chèvre nous avertit par ses nombreuses maladies dites de civilisation qu'elle ne supportera jamais la forcerie que veut lui dicter la folie scientiste. Cette démence furieuse qui contribue à mener le monde à sa perte.
Jean Domec, 2004
[1] À Herbeumont, les troupeaux communs par JM Lamotte, Le Saglé, 4e trimestre 1989.
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