Balade caprine à travers la littérature tourangelle

pleine chèvre ou trace
Sente de la chèvre qui bâille : le livre

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Adorée dans l'ancienne Egypte, chantée par les poètes gréco-latins, redoutée par le monde judéo-chrétien, la race caprine ne laisse personne indifférent.

En Touraine, la descendante de la chèvre Amalthée, nourrice de Zeus, a été adoptée et domestiquée depuis la nuit des temps. Une étude parue en 1985 dans « La Revue archéologique du Centre » révèle en effet qu'au cours d'une fouille effectuée en 1969 et 1972 dans le site de la butte-au-trésor, à Vernou, dans la vallée de la Brenne, datant de la proto-histoire, il a été trouvé parmi les fragments osseux de 265 animaux domestiques ceux de dix chèvres. La chèvre tourangelle a donc parcouru les âges sans perdre de sa prodigieuse vitalité, offrant quantité de bienfaits aux humains en échange de quelques racines et brindilles capables d'assurer sa subsistance. Animal rustique autant que généreux, elle fournit non seulement lait et viandes pour l'alimentation, mais aussi peau et duvet pour la confection de vêtements, de couvertures, de gants, de suif pour la chandelle et le savon...

Marchant allègrement, elle a suivi l'homme dans ses randonnées de nomade. Aussi, est-il probable que les envahisseurs successifs de notre terre ligérienne se déplacèrent accompagnés de chevaux et chèvres, leurs indispensables auxiliaires. Une légende du « bon pays de Verron » affirme même que les conquérants arabes auraient enlevé des Tourangelles de cette contrée, y laissant en échange quelques-unes de leurs compagnes à quatre pattes, appelées depuis chèvres de la race poitevine.

La chèvre a donc tenu bon en ce terroir de Touraine, qui lui fut reconnaissant, la ville de Tours ayant donné à trois de ses artères le nom de cet animal sacré : rue de la chèvre qui bâille - entre la place du marché et celle de châteauneuf ; la rue de la chèvre, débaptisée en 1886 au profit de l'académicien Néricault-Destouches, la rue des chèvres, devenue en 1833, la rue Chaptal, l'illustre chimiste. Cette dernière ne bénéficiait pas d'une réputation flatteuse, à en croire Bernard Chevalier qui, dans son « Tours, ville royale », la présente comme « le rendez-vous des fillettes amoureuses qui despècent les jardins ». Sa maison à l'enseigne de « la chèvre qui bêle » était-elle un boxon ? (Nom lui-même tiré de bouc).

Toujours est-il qu'on apprécia de longue date la race caprine en notre province.

Lors de son arrivée dans la capitale tourangelle, en 1437, la reine Marie, femme de Charles VII, reçut ainsi comme cadeau, 12 veaux de lait, 25 moutons, 200 poules, 110 pigeons, 25 chapons de haute graisse et 50 chevreaux.

Mais tous les derniers-nés ne finissaient pas dans le palais de nos aïeux, car la bique de nos campagnes avait déjà pour vocation première de fournir un lait extrêmement nourrissant donnant un fromage se mariant à merveille avec le « vin breton », vanté par le tonitruant Rabelais.

L'illustre chinonais (1494-1553) sera d'ailleurs le premier grand écrivain du cru à évoquer cet animal de la mythologie. Celui-ci, en effet, recommande à tous « d'avoir en révérence le cerveau caseiforme qui vous faist de ces bille-vezées »... Il admire « les aureilles pendantes comme les chièvres du Languedoc de la jument de Gargantua » et s'amuse de l'étrange mort de Fabius, préteur romain, lequel mourut suffoqué d'un poil de chèvre, mangeant une esculée de lait. L'auteur du Tiers Livre se méfie toutefois du caractère caprin qu'il associe à celui de la femme, capricieuse et à l'esprit chimérique. « La femme est-elle une erreur de la nature ? » s'interroge Rondibilis, qui « portera ces joyeuses cornes de bouc, s'il se marie ». Des cornes « qui poussent sans faire mal quelconque ! »

De l'antiquité, le moine éclairé se moque des dieux, de Zeus surtout : « Considérez ses exploits et ses hauts faists, il a été le plus infâme cor... je veux dire bordelier qui fut jamais, toujours paillard comme un verrat ; d'ailleurs, il fut nourri par une truie sur le Mont Dicté de Candie, si Agathocle le Babylonien ne ment pas, et plus lascif qu'un bouc ; d'ailleurs les autres disent qu'il fut allaité par une chèvre, Amalthée ». C'est au progrès que croit Rabelais, « à l'homme, cet être animé né pour la paix, pas pour la guerre ! Né pour les jouissances merveilleuses de tous les fruits et pour la pacifique domination de toutes les bêtes ». Il entrevoit des possibilités infinies dans le développement, pouvant un jour permettre à l'homme d'égaler les dieux et de lui assurer la maîtrise de l'Univers. Sa renaissance est joyeuse, scientifique et rationnelle, aussi n'est-il pas surprenant que sa rencontre avec Ronsard, à Meudon, chez le duc de Guise, s'avéra quelque peu caustique, « ils se picotèrent ! »

Le « prince des poètes » (1524-1585) est en effet imprégné de la tradition altière de la littérature médiévale qui donne de la femme une image idéalisée. Son accent sur l'infirmité de l'être humain est chrétien et l'empêche d'adhérer à l'optimisme de l'avenir sur cette terre. De l'Antiquité, il aime célébrer la symphonie, le décor mythologique de bêtes et dieux qui donne au monde une beauté mystérieuse. Aussi, affectionne-t-il particulièrement toutes ces petites divinités bienveillantes, protectrices des champs et des troupeaux, velues, cornues avec des pieds de chèvres et des oreilles mobiles, intercesseurs indispensables au poète dans sa communication avec le divin.

Je n'avais pas douze ans qu'aux profondes vallées
Dans les hautes forêts des hommes reculées
Dans les antres secrets, de frayeur tout couverts
Sans avoir soin de rien, je composai des vers
Echo me répondait, et les simples dryades
Faunes, satyres, pan, nacées, créades
Egipans qui portoient des cornes sur le front
Et qui ballant sautoient comme les chèvres font
Et le gentil troupeau des fantastiques fées
Autour de moi dansaient à cottes agrafées.

Grande est l'émotion du « poète des princes », quand il honore dans son « Hymne de Bacchus » le sacrifice du bouc, sans lequel le vin, précieux nectar, n'eut été trouvé.

O Dieu ! Je m'esbahis de la gorge innocente
Du bouc, qui tes autels à ta fête ensanglante
Sans ce père cornu, tu n'eusses point trouvé
Le vin, par qui tu as tout le monde abreuvé
Tu avisas un jour, par l'espais d'un bocage
Un grand bouc qui broutait la lumbrunche sauvage
Et tout soudain qu'il eut de la vigne brouté
Tu le vis chanceler tout ivre d'un côté
A l'heure tu pensas qu'une force divine
Estoit en cette plante et béchant sa racine
Soigneusement tu fis ses sauvages raisins.

Le bouc est tant aimé par le fondateur de la Pléiade qu'il ne cesse de l'encenser dans ses « Eglogues » :

Il est fort et hardy, corpulent et puissant
Brusque, prompt, éveillé, sautant et bondissant
Qui gratte, en se jouant, de l'ergot de derrière
Regardant les passants sa barbe mentonnière.

La lascivité de la race caprine inspire aussi l'auteur de « Mignonne allons voir... », comme en témoigne son charmant poème « Jacquet et Robine » :

Approche-toi, mignardelette
Mignardelette doucelette,
Mon pain, ma faim, mon appétit
Pour mieux l'embrocher un petit
A peine eût dit qu'elle s'approche,
Et le bon Jacquet qui l'embroche
Fist trépigner tous les sylvains
Du dru maniement de ses reins,
Les boucs barbus qui l'aguettèrent
Paillards sur les chèvres montèrent,
Et ce Jacquet contr'aguignant,
Alloient à l'envi trépignant
O bienheureuses amourettes,
O amourettes doucelettes !

Volontiers libertin, le châtelain de le Possonnière n'en est pas moins un sage. Car, Pierre de Ronsard sait que l'âme enveloppe le corps. Aussi, l'univers des « Hymnes » est-il peuplé de « daimons » familiers qui intercèdent entre le monde de la chair et celui de l'esprit. Caprins et divinités accompagnent donc le poète dans ses chants de jeunesse, d'amour et de mort.

Honoré de Bueil, marquis de Racan (1589-1870) nous fait entrer dans le « Grand Siècle ». Bergers et bergères deviennent conventionnels, la nature ne plaît plus que transformée en jardin. Il n'empêche que certains accents des « Bergeries » sont remplis de charme et de naturel. « Là, les moutons espars paissaient dans les campagnes ; là, les chèvres pendaient au sommet des montagnes ». Le bouc demeure incompris, fidèle à une mauvaise réputation : « Allez bouquin puant, faire l'amour aux chèvres ».

Avec René Descartes (1596-1650), l'homme pénètre dans l'univers de la modernité, régi par des lois immuables, conformément aux décrets d'une sage providence et sous la souveraineté de la raison. Tandis que la nature est réduite à un système de rouages organisé par une décision d'« en haut », l'être humain se trouve séparé des dieux et des bêtes. Le philosophe de la Haye refuse une âme aux animaux parce qu'il est partisan de l'immortalité de l'âme humaine. Pour lui, les bêtes sont des machines, un de ses disciples, le métaphysicien Nicolas de Malebranche, allant jusqu'à battre son chien « en alléguant qu'il ne sentait rien et que ses cris n'étaient que du vent poussé dans un conduit vibrant. »

Cette doctrine triomphera. La zootechnie, née au milieu du 19ème siècle, sera évoquée en 1892 dans le « Dictionnaire d'Agriculture » par J.A Barral : « Les animaux mangent, ce sont des machines qui consomment, qui brûlent une certaine quantité de combustibles d'une certaine nature. Ils se meuvent, ce sont des machines en mouvement, obéissant aux lois de la mécanique. Ils donnent du lait, de la viande, de la force, ce sont des machines fournissant un rendement pour une certaine dépense. Mieux nous connaissons la construction de ces machines, les lois de leur fonctionnement, leurs exigences et leurs ressources, plus nous pouvons nous engager avec sécurité et avantage dans leur exploitation. »

Seul dans son siècle de la raison à refuser que les animaux soient des assemblages de pièces, « sortes d'horloges qui remuent et font du bruit », Jean de la Fontaine (1621-1696) se fait non seulement l'ami de la Touraine mais aussi celui des animaux. Le malicieux narrateur des « Fables », dont la morale n'est pas dogmatique, réfute Descartes et les cartésiens sur l'âme des bêtes et les prétendues machines, en disant que ce philosophe altier ne les connaissait pas mieux que l'homme qu'il se flattait d'expliquer aussi.

Pour ce poète qui voit la Loire comme « une rivière arrosant un pays favorisé des cieux », la poésie s'avère divine et les animaux sont d'habiles caricatures de l'espèce humaine. Une galerie animalière dans laquelle cabriolent chèvres et boucs. Si dans « Le loup, la mère et l'enfant », la chèvre exprime merveilleusement l'amour et la vigilance maternelles, c'est la liberté qu'elle traduit dans « Les deux chèvres » :

Dès que les chèvres ont brouté
Certain esprit de liberté
Leur fait chercher fortune ; elles vont en voyage
Vers les endroits du pâturage
Les moins fréquentés des humains
Là s'il est quelque lieu sans route et sans chemin
Un rocher, quelque mont pendant en précipices
C'est où ces dames vont promener leurs caprices ;
Rien ne peut arrêter cet animal grimpant.

Des caprins, il en sera encore question dans les textes des écrivains tourangeaux du XVIIIème siècle, dont l'abbé de Grécourt (1683-1743) fut assurément le plus enjoué. Ami du duc d'Aiguillon, familier de la cour du château de Véretz, ce sémillant chanoine devint même interdit de chaire, à la suite de son premier sermon, désobligeant pour certaines dames de Tours. Dans ses « Oeuvres badines », l'ecclésiastique nous rappelle le caractère allègre de la chèvre, boute-en-train aimant volontiers dandiner. C'est en effet cet animal qui guida l'attention des habitants de Delphes vers le lieu où des fumées sortaient des entrailles de la terre. Prise de vertige, la chèvre se mit à danser. Aussi est-ce grâce à elle qu'on bâtit un temple à cet endroit et qu'on institua les oracles qu'Apollon rendit par la bouche de Pythie. Les hommes purent ainsi communiquer avec le divin... Pas très catholiques, en tout cas, nous apparaissent les poésies de ce joyeux abbé ; celle de « l'âne et de la chèvre » n'est guère dans la lignée des textes saints. Faisant route avec une chèvre, le gai baudet, entendant du bruit, lui dit :

Allez voir, c'est proche d'ici
Ecoutez le son de la vielle :
Si l'on y danse, dansez-y
Si l'on y baise, qu'on m'appelle.

Moins folâtre que Grécourt, Jean-Baptiste Gresset (1709-1777) chantera les galantes nymphes de Touraine dans son « Ode à Virgile sur la poésie champêtre ». En traduisant l'« Eglogue 2 » du poète latin, ce professeur du collège de Tours décrit une Arcadie dont la beauté rappelle la Touraine. Contrée de rêve, le Péloponnèse est un lieu d'innocence et de bonheur favorable aux dieux des champs. Ses habitants, tous pasteurs, sont les maîtres de la poésie bucolique. Un pays de récits mythologiques où le berger Corydon se plaint de l'insensibilité d'Iris et veut l'attirer vers les campagnes où règne Pan, le malicieux dieu aux cornes, aux jambes et aux pieds de chèvre. Gresset est un nostalgique de cet âge d'or « où tout l'univers est champêtre, tous les hommes étaient bergers », associant notamment la race caprine à l'idée du bonheur. Son chant annonce la prédominance de la sensibilité et de l'imagination sur la raison.

Louis-Claude de Saint-Martin (1743-1803), quant à lui, professe que « l'homme est un esprit tombé de l'ordre divin dans l'ordre naturel et qui tend à remonter dans son premier état ». Et tandis que ce théosophe d'Amboise qualifie le bouc d'« animal puant n'étant qu'un symbole d'abomination, de réprobation, de putréfaction et d'iniquité », la chèvre agrémente la vie des dames de l'aristocratie qui s'improvisent « fermières » sous l'impulsion de la reine Marie-Antoinette. Les bonnes familles utilisent en effet le capricieux ruminant pour tracter des voiturettes où prennent place princes, princesses et autres enfants privilégiés. À Véretz comme à Chanteloup, les bambins des ducs d'Aiguillon et de Choiseul profitent de cette vogue pour la traction caprine.

Né à la charnière de deux époques, Paul-Louis Courier (1772-1825) honore lui aussi la gent caprine de sa plume inspirée. Le vigneron de Véretz traduisant de Longus « Daphnis et Chloé », raconte cette merveilleuse histoire d'amour champêtre, pleine de grâce et de naïveté : « En cette terre, un chevrier nommé Lammon trouva un petit enfant qu'une de ses chèvres allaitait, et l'enfant prenait à pleines mains son pis, comme si c'eut été mamelle de nourrice. Surpris, il approche et trouve que c'était un petit garçon beau et bien fait. Lammon prit l'enfant et la chèvre, qu'il conduisit à sa femme Myrtale ; ils l'appelèrent Daphnis. A deux ans de là, un berger, Dryas, vit une toute pareille chose. Il vit une brebis donner le pis à un enfant. Cette enfant était une fille ; on la nomma Chloé, laquelle adressera cette supplique à Daphnis : « Jure-moi, par la chèvre qui te nourrît et t'allaita, que tu ne laisseras jamais Chloé, tant qu'elle n'aimera autre que toi ». »

Au siècle du romantisme, Honoré de Balzac (1799-1850) paraît séduit par le goût de l'indépendance qu'on attribue à cette nourrice de la mythologie : « je m'impatiente comme une chèvre liée à son piquet » assure-t-il dans sa « Lettre à l'étrangère ». Le géant des lettres semble apprécier son fromage ; ainsi, dans « La Rabouilleuse », la servante « apporta pour dessert le fameux fromage de la Touraine et du Berry, fait avec du lait de chèvre et qui reproduit si bien en nielles les dessins des feuilles de vigne sur lesquelles on le sert, qu'il aurait dû faire inventer la gravure en Touraine. »

En outre, il ne ménage guère sa tasse de café ! Un stimulant qu'il apprécie sans peut-être savoir que c'est au caprin qu'on doit cette culture, capitale pour lui, du caféier... Furetière, dans son « Dictionnaire Universel » de 1692, affirme que « le café fut découvert par le prieur de quelques moines, après qu'il eut été averti par un homme qui gardait des chèvres, que quelquefois son bétail veillait et sautait toute la nuit. Ce qui fit qu'on essaya la vertu du café d'empêcher le sommeil et il l'employa d'abord pour empêcher les moines de dormir à Matines. »

Pas la moindre trace caprine, en revanche, dans l'oeuvre d'Alfred de Vigny (1797-1863), mais dans « La maison du berger », l'illustre Lochois n'en dénonce pas moins le progrès de « la Science qui trace autour de la terre un chemin triste et droit ». Il fustige aussi la propagande des politiciens qui n'ont pour horizon que leur salle de spectacle et qui tentent d'abêtir l'être humain. Aussi, suggère-t-il, dans sa « lettre à Eva », d'aller vers la nature, sans y pénétrer, et de vivre en poète, en plaignant et en admirant les souffrances humaines. Un discours qui connut plus près de nous son heure de gloire : n'est-ce pas pour échapper au marathon d'un monde social impitoyable où « il faut triompher du temps et de l'espace, arriver ou mourir » que mai 68 fut une fuite vers cette nature, non pas hostile mais idéalisée. Les « soixante-huitards » n'espéraient-ils pas embrasser un paradis d'amour et de poésie, rempli de bêtes et de dieux bienveillants ? La chèvre, emportée par son irrésistible penchant pour la liberté primesautière, sera le symbole de ce retour aux sources ; l'échec de cet élan écologique ayant coïncidé, étrange hasard, avec l'entrée des caprins dans le cercle infernal de l'élevage intensif.

Quelques autres auteurs ayant choisi la Touraine pour terre d'élection furent sensibles aux vertus caprines... à titre gastronomique. Si Jules Romains (1885-1972) s'enthousiasme pour le ragoût de chevreau dans « La douceur de vivre », Maurice Bedel (1883-1954) préfère s'épancher sur la qualité du « Sainte-Maure, ce petit traversin de fromage, ce blanc cylindre issu du lait très crémeux de la chèvre ». Le chantre de notre terroir se plaît à évoquer « les habitants des coteaux de Touraine qui sont aussi raffinés dans leurs goûts que les dieux de la Grèce ; ils font leur régal d'un quignon de pain épaissement enduit de Sainte-Maue et fraîchement arrosé de vin blanc. Plaisir simple, mais plaisir de haute qualité ». Dans son remarquable « Eloge de la bique », le subtil gastronome Charles Gay affirme même que « le délicieux fromage que nous dispense cet animal sacré est le complément nécessaire et tout désigné de la dégustation du Vouvray doré ». L'organisateur des journées gastronomiques de Vouvray (en 1936) adhère pleinement à la thèse de l'écrivain belge, ami de la Touraine, Maurice des Ombiaux, selon lequel « le fromage est le frère du vin. Grâce à une merveilleuse chimie, il a, lui aussi, transformé les sucs de la terre, par l'intermédiaire des herbages odoriférants, de l'estomac de la chèvre, avec la collaboration des ferments qui flottent dans l'atmosphère, en une matière de haut goût qui charme le palais et dont les variations ont une aussi étonnante subtilité que celle du jus de la treille. »

En cette fin de siècle, comme le prouve l'existence de la Société d'Ethnozootechnie, nombreux sont les hommes qui aspirent à l'élaboration d'une société conviviale au sein d'un milieu naturel où ressurgirait la vie champêtre et renaîtrait l'art pastoral. Aussi, la sauvegarde du patrimoine et la mise en valeur des savoir-faire ancestraux figurent parmi nos préoccupations. Le souhait des êtres humains n'est-il pas de vivre en harmonie avec la nature où s'interpénètrent humains, animaux, divinités ?

Or, la chèvre, par ses qualités sentimentales, esthétiques, mythiques et réelles, ne se révèle-t-elle pas l'intercesseur indispensable à l'homme pour la réalisation de cet univers qu'a chanté Pierre de Ronsard, et qui se situe entre celui de la chair et celui de l'esprit ?

Jean Domec, 1996

(la première version de ce texte date de 1989)




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