La Chèvre et le Président

pleine chèvre ou trace
Sente de la chèvre qui bâille : le livre

Lire La Chèvre jaune & Balade caprine à travers la littérature tourangelle

Lire La Chèvre jaune & Balade caprine à travers la littérature tourangelle

Le jour où nous avons accueilli nos chèvres, parents et amis nous ont mis en garde contre les méfaits de l'indiscipline caprine. Des maraudages qui, à en croire certains, transformeraient notre parc en désert. La répétition de ces dires a plongé nos mémoires dans des souvenirs historiques et scripturaires.

Ainsi, par son sacrilège rituel, les jours de fête en l'honneur de Dyonisos (Bacchus), le caprin n'est-il pas associé par les Grecs aux jeux de la vie, de la mort et du hasard, qui ont donné naissance à la tragédie (éthymologiquement « le chant du bouc »). Aussi le poète latin Virgile s'étonnait-il de la malédiction frappant cette espèce. Il s'indigna même dans les Géorgiques, de voir « le bouc, sacrifié à Bacchus pour avoir brouté quelques pampres de vignes, alors que buffles, chevreuils, brebis, génisses, ne sont pas inquiétés et pourtant le venin de leur dent dure fait plus de mal encore aux plantes. » La religion juive, quant à elle, a aussi chargé cet animal de tous les péchés d'Israël, en le chassant dans le désert le jour de la fête des expiations, l'expression de bouc émissaire étant depuis devenue proverbiale. La religion chrétienne, enfin, a réprouvé le caprin en le faisant figurer en futur damné le jour du Jugement dernier.

Aussi, en lisant dans l'Autre Journal, en mars 1986, un entretien entre Marguerite Duras et François Mitterrand, consacré à l'Afrique, j'avoue ne pas avoir été surpris de voir le représentant suprême de notre peuple, être victime des réminiscences gréco-latines et judéo-chrétiennes de nos origines de civilisation.

À propos de la dénudation de la forêt circaméditerranéenne, l'auteur de l'Amant demandait en effet au président de la République : « Qu'est-ce que la désertification ? Je ne comprends pas. Est-ce là où on marche ? La marche des hommes et des bêtes pilonne le sol qui devient ciment. » Et le Président de répondre : « Oui, un ciment friable, du ciment et de la poussière, l'image est juste. La végétation a besoin d'être soutenue, d'être aidée. Tout être vivant l'attaque, l'homme qui fait des feux, l'animal, surtout la chèvre, qui dévore... »

Un mot de trop, Forts de notre expérience caprine, Bichette et Roussette nous ayant déjà beaucoup appris, ma femme et moi avons donc réagi à cette attaque injustifiée en écrivant à l'hebdomadaire. Lequel publia notre long courrier dans un numéro d'avril 1986. « ...Nous nous élevons contre la légende reprise par F. Mitterrand dans son entretien avec M. Duras, que la désertification de certaines contrées proches de la Méditerranée viendrait surtout de la chèvre. C'est l'homme, c'est à dire le chevrier, qui est en fait responsable des dégâts, puisqu'il guide mal ses bêtes. La chèvre est l'amie des forêts. Elle a une vocation de débroussailleuse ; c'est l'abandon de la chèvre, et son remplacement par la machine, qui a fait naître de nombreux incendies dans le Midi de notre pays. L'Allemagne fédérale avait 1 300 000 chèvre en 1950 ; elle n'en compte plus que 36 000 en 1985. Les forêts allemandes sont en voie d'anéantissement par la pollution et non par la chèvre ! Dites, je vous prie, au président de la République que la chèvre peut jouer un rôle important dans notre économie, notamment pour faire revivre les régions désertées par l'homme et tout particulièrement dans le tiers-monde pour nourrir et vêtir ses habitants... »

Quelques jours après la publication de notre courrier, une réponse personnelle du chef de l'État nous parvenait :

« Chère Madame, Cher Monsieur,

Même si j'ai dit, sans le vouloir, un peu de mal des chèvres, je les aime plus que vous ne croyez, je les admire et pour leur beauté et pour leur rôle à la fois mythique et réel dans l'histoire de l'homme. Je serai donc navré d'un malentendu avec des amis des chèvres comme vous l'êtes. Je ne demande qu'à réparer !

J'ai, en tout cas, été touché par votre appel et je vous prie de croire, Chère Madame, Cher Monsieur, à l'expression de mes sentiments les meilleurs.

François Mitterrand »

Jean Domec, 1989




À consulter également :




Loading

édité par Christian Domec - xhtml - css - roseau - stat - rss - màj - m@nuscrit - potière

les penchants du roseau - journal des penchants du roseau