Pour un statut de l'animal

Sente de la ch�vre qui b�ille : le livre

Lire La Ch�vre jaune & Balade caprine � travers la litt�rature tourangelle

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« Nous sommes plus malheureusement n�s que les b�tes, mais par exp�rience, m�moire, ruse et artifice, nous nous servons d'elles - nous ch�trons les gaufres des abeilles, nous tirons les pis des femelles - bref nous les pillons et les saccageons quand nous les prenons », a �crit Anaxagore (500-428 avant J.-C.). Cet �minent philosophe et biologiste, conseiller de P�ricl�s, pr�cise cependant que « le juste et l'injuste ne sont rien pour la nature et qu'ils n'existent que par la loi ». Aussi, appartient-il � l'homme, qui domine les animaux, gr�ce � son intellect et � ses mains, de dicter des r�gles. Or, celles-ci furent suivies, bon an mal an, en d�pit de multiples exc�s, par l'homme souverain qui tue pour se nourrir ainsi que pour alimenter ses animaux favoris, qui tue pour se v�tir, pour s'instruire, pour se soigner, pour se distraire, tant que l'�tre humain contemplait la nature comme un enfant regarde sa m�re. Car, comme le note encore Montaigne (1533-1592), � la Renaissance, « tout ce qui sous le ciel court une m�me loi et fortune pareille ; ainsi l'homme et la b�te sont confr�res et compagnons ».

Mais tout change, dans les relations entre l'homme et l'animal, au XVIIe si�cle, quand l'homme par la r�volution m�caniste, d�cide de conqu�rir la Nature et de s'en rendre « ma�tre et possesseur ». Ainsi, le religieux et math�maticien Mersenne (1588-1648), le philosophe et math�maticien Ren� Descartes (1596-1650), les Jans�nistes Arnauld et Nicole, en traitant les animaux comme des machines, jettent entre les humains et les b�tes un espace incommensurable. Cette philosophie fut concr�tis�e par le Code civil, en 1804, qui affecte le statut juridique de « chose » � l'animal ; elle devient enfin un dogme, par la naissance de la zootechnie au milieu du si�cle dernier, que d'ailleurs nos �coles nous enseignent toujours. « Pour la zootechnie, les animaux sont des machines, non pas dans l'acceptation figur�e du mot, mais dans son acceptation la plus rigoureuse, telles que l'admettent la m�canique et l'industrie... Ce sont des machines, donnant des services et des produits » [1]. Cette p�dagogie, rendue folle par le « hors-sol » et des technologies intensives, ne pouvait que conduire aux d�rives de la « production animale » et � ses violences collectives, dont sont victimes l'homme, l'animal et l'environnement, �leveurs, transporteurs, animaux, ne survivent-ils pas, �puis�s, au sein d'un enfer obscurantiste ? Car, au nom des imp�ratifs du march�, un homme doit suffire pour s'occuper de 10 000 poules pondeuses, 20 000 poulets de chair, 80 truies et leur port�e, 3 500 porcs � l'engrais, 300 � 400 jeunes bovins ou 65 vaches laiti�res ! [2]

N�anmoins, l'�tablissement de ces forceries intensives a �t� entrav�, pendant des d�cennies, gr�ce � la science et au bon sens paysan qu'exprime si bien le cur� de campagne Meslier, de la paroisse d'Etrepigny dans les Ardennes (1664-1729) quand il �crit : « Voyez-vous, Messieurs les cart�siens, que les machines s'engendrent naturellement les unes les autres, comme font les b�tes ! Voyez-vous qu'elles s'assemblent pour se tenir compagnie, qu'elles se r�pondent, qu'elles jouent ensemble, qu'elles se caressent, se battent, s'aiment ou se ha�ssent, comme font les b�tes ! Vous para�t-il qu'elles connaissent leur ma�tre, comme font les b�tes ! »[3]

Mais les « trente glorieuses » de l'agriculture (1955-1985), en pr�cipitant la « fin des paysans », 6 200 000 actifs en 1955, plus que 1 500 000 en 1991, vont permettre le triomphe de l'industrialisation du vivant. N'avons-nous pas v�cu l'implantation rapide de fermes-usines, o� sont claustr�s, dans des ateliers hors-sols, de plus en plus d'animaux, destin�s � produire le plus vite possible viandes, lait, oeufs. (70 % de notre consommation de viandes ; 80  de celle d'oeufs ! [4] Et combien de souffrances !)

Nonobstant, l'int�r�t pour le savoir r�el, que l'on se transmet de g�n�ration en g�n�ration, rena�t. Et nous savons aujourd'hui, qu'il ne peut y avoir de pays et de paysages sans paysans. Ainsi, l'universalit� de la pens�e d'Anaxagore, le philosophe de l'infini �mise il y a 2 500 ans, a travers� le temps et l'espace, et se trouve d'une br�lante actualit�.

Oui, il appartient � la France, une fois de plus, de l�gif�rer dans l'Universel en �laborant une �thique du vivant.

Persuad�s que l'animal est un �tre vivant et non pas une machine, ne sommes-nous pas r�unis ce soir, paysans �cologistes, amis des hommes, des animaux, de la nature, pour exiger la concr�tisation de cette volont� par des lois. Ainsi, pourrons-nous, tous ensemble, construire une agriculture paysanne moderne, respectueuse de l'homme, de l'animal, du milieu, digne du XXIe si�cle.

Jean Domec, 1995


[1] Dictionnaire d'agriculture Barral - 1880.
[2] Le stress en �levage intensif, par R. Dantzer et P. Norm�de, Inra - Masson 1979.
[3] L'animal, machine ou personne, F. Sigaut - Ethnozootechnie n� 46 - 1991.
[4] Histoire de l'�levage fran�ais, Jacques Risse, L'Harmattan - 1994.




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